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Aquiceara - Le blog

Photos, vidéos et récits de voyages et d'ailleurs et d'autres choses....

Andalousie Pâques 2023

La dernière excursion hors des frontières nationales remonte à la fin novembre 2019. Quelques jours à Canton et un week-end à Bangkok. Depuis, eh bien on a eu les confinements et les interdictions et contraintes en tous genres. Besoin de souffler un peu. Je suis tenté d’aller passer quelques jours à Assouan, mais ça tombe au moment des vacances de Pâques et je m’y prends trop tard. Les billets d’avion sont chers et ça sent la galère. Finalement, comme l’idée me trotte dans la tête depuis un certain temps, j’opte pour l’Andalousie. Tout le monde m’en a parlé, mais je n’y suis jamais allé. Ça fait partie de ces destinations dont on se dit qu’on ira forcément un jour, mais on les sacrifie à d’autres, plus lointaines et plus exotiques. L’Espagne, à vrai dire, j’y ai passé quelques jours en 1982 et en 1983 à Barcelone et dans les environs. Je suis allé deux fois à Alicante en 1989 avec mon patron de l’époque pour acheter des palmiers et c’est tout. Ça m’avait bien plu, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’y retourner depuis.

Lundi 27 mars

 

Pour ces quelques jours en Andalousie j’ai loué une voiture à Châteauroux. J’ai réservé une Nissan Micra, mais on m’attribue finalement une Fiat 500. Le temps de faire les papiers, il est près de 11 heures quand je pars. Le temps est maussade et il ne fait que 5 ou 6°.

J’ai décidé de n’emprunter que les nationales jusqu’à Clermont-Ferrand. Mauvaise idée, la traversée de Montluçon prend un temps fou et la petite Fiat est à la peine dans les côtes. Et puis une boîte manuelle 6 vitesses, ce n’est pas idéal. D’autant plus que les rapports sont vraiment courts : on passe la sixième dès soixante à l’heure !

En approchant de Clermont je me retrouve sur l’autoroute et là, ça va tout de suite mieux. Au moins je peux avancer. Le temps reste couvert et frisquet jusqu’au col dont j’ai oublié le nom, à 1100 mètres d’altitude. Ensuite ça redescend et le ciel se dégage petit à petit. Je fais une courte halte le temps d’une photo au viaduc de Garabit. Enfin j’arrive à Marvejols, où j’entame la longue descente jusqu’à Alès. La route est superbe, en particulier les premiers kilomètres sur le causse. De la roche, des pins, une herbe maigre et… des virages, encore des virages, toujours des virages ! En arrivant à Alès, Waze me balade dans des rues plus pourries les unes que les autres où je dois faire demi-tour à cause d’une rue barrée. Je racle le dessous de la bagnole à une ou deux reprises à cause des gendarmes couchés qui ont été faits n’importe comment.

Mardi 28 mars

Il fait 8° et très beau. Idéal pour prendre la route. J’ai 680 kilomètres devant moi jusqu’à Castellón. La nationale jusqu’à Lunel est un peu longue, mais très jolie. Ça me rappelle l’époque où on habitait à Fréjus. Lumière dorée sur les toits, végétation méditerranéenne, routes qui prennent leur temps au lieu de couper tout droit… c’est le Sud !

Une fois sur l’autoroute j’avance bien et j’arrive très vite à Narbonne puis Béziers d’où j’aperçois les sommets enneigés des Pyrénées au loin. La circulation est fluide et je dépasse Perpignan vers midi. Je m’arrête une dernière fois côté français pour boire un café au distributeur d’une station-service. La jauge m’indique que je peux sans problème aller au moins jusqu’à Barcelone.

Quelques kilomètres plus loin je me rends compte que je viens de dépasser La Jonquera. OK, je suis donc bien en Espagne. Peu après je reçois un coup de fil du mec qui loue la chambre à Castellón pour ce soir. Il me dit qu’autour de Barcelone il faut se méfier des radars, parce que les tronçons à 110 et à 120 se succèdent et qu’on a tôt fait de se faire piéger. Finalement, ses infos doivent dater un peu : sur toute cette partie du trajet la vitesse est limitée à 100. La circulation est tout de même assez fluide et, passé Barcelone, elle l’est de plus en plus. Je m’arrête une ou deux fois pour boire un café et refaire le plein. Ici l’essence est moins chère qu’en France. De plus, la Fiat consomme peu.

Je galère un peu en arrivant à Castellón : Waze ne peut pas m’indiquer l’adresse exacte parce que ce n’est pas un hôtel. Finalement il s’avère que l’immeuble est à deux pas de la gare et que je peux stationner la voiture sur le grand terre-plein juste derrière et à deux pas de l’appartement. Je vais chercher la clé chez l’épicier marocain au coin de la rue et, après avoir un peu bataillé avec les différentes serrures, j’arrive enfin à l’appartement. La chambre est monacale, mais il y a une pièce commune agréable et moderne, avec une petite cuisine. À peine arrivé, un des autres locataires vient se présenter. Et juste après, son pote le rejoint. On cause deux minutes en espagnol jusqu’au moment où ils me disent qu’ils sont italiens. OK, on change de langue. L’un d’eux a été marié à une Espagnole et il est venu quelques jours pour la voir. Celui qui m’a accueilli est de Fiesole. Je lui apprends que j’y suis allé déjeuner une fois. En 1975. Il n’était pas né. Je le charrie en lui disant que ses parents ne s’étaient peut-être même pas encore rencontrés. Il se fige un instant, le temps de calculer et de confirmer dans un grand éclat de rire.

Un peu crevé et surtout poisseux pour avoir beaucoup transpiré dans la voiture, je commence par prendre une bonne douche avant d’aller manger un couscous dans un restau marocain face à la gare. Le quartier n’est pas très vivant. On ne trouve guère qu’un ou deux petits bars d’aspect tristounet en terrasse desquels des couples ou des retraités boivent le café ou une bière en causant.

De retour à l’appart, je me mets à la rédaction de mon journal. Il doit être dans les onze heures quand arrive Florian, le proprio. C’est lui que j’ai eu au téléphone. Un look à la Indiana Jones avec cheveux longs, barbe, boucle d’oreille et chapeau de cowboy. Ah oui, j’ai oublié : c’est un Français. Il me raconte qu’il a bossé pas mal d’années dans le domaine de la bijouterie, aussi bien précieuse que de pacotille. À un moment donné il en a eu marre d’être constamment sur les routes. En outre, son couple n’allait plus. Il a alors rencontré une Espagnole qui lui a « retourné la tête » et est venu s’installer à Castellón. Je n’ai pas su la suite de l’histoire parce qu’il était venu pour accueillir une Portugaise qui avait réservé à la dernière minute. Il avait cru comprendre qu’elle venait avec des enfants et ça ne l’enchantait pas. En fin de compte, la Portugaise est brésilienne et elle n’est pas avec des gosses, mais une compatriote rencontrée à l’aéroport. C’est la soirée latine : après l’espagnol et l’italien, on passe au portugais. L’une des deux nanas est de João Pessoa. Elle est ravie d’apprendre qu’on a vécu deux ans à Fortaleza. On est en quelque sorte anciens voisins du Nordeste.

Mercredi 29 mars

Comme je me suis couché relativement tôt, je suis debout vers six heures et demie. Ça m’arrange bien, parce que j’ai 500 bornes à faire pour arriver à Almería. Il fait encore nuit quand je pars et il y a encore très peu de circulation. Le jour commence à poindre un peu après sept heures. Je compte faire une petite halte à Elche pour voir la palmeraie, que j’ai vue en coup de vent à la fin des années 80. Du côté de Valence, la vallée entre l’autoroute et la petite chaîne de montagne qui nous sépare de la mer est noyée dans la brume. Quelques kilomètres plus loin la route descend et on se retrouve dans un brouillard à couper au couteau. Visibilité : 100 mètres à tout casser. Heureusement il n’y a presque pas de circulation. J’arrive à Elche entre neuf et dix heures, alors que le brouillard s’est dissipé. Les avenues sont bordées de palmiers splendides. Seulement, au bout d’un moment je dois me rendre à l’évidence : se garer est quasiment impossible. Toutes les rues sont en zone bleue, je n’ai pas de disque et il n’y a de toute manière aucune place de libre. Et puis je n’ai pas vraiment le temps de chercher. Je repars donc en direction du Sud. La circulation est plus dense sur une bonne centaine de kilomètres mais ça s’éclaircit carrément sur les cent ou cent-cinquante derniers. Comme la végétation. Les forêts de pins ont peu a peu laissé la place aux tamaris, aux figuiers de Barbarie et aux grosses touffes d’herbe typiques des régions arides. En approchant d’Almería, la vallée et la plaine côtière sont un océan de plantations d’orangers et d’oliviers. Sans parler des serres qui occupent tout l’espace restant et montent même à l’assaut du cordon montagneux du bord de mer. J’arrive à Almería sur le coup d’une heure. Encore une petite galère avec le GPS : j’ai mal saisi l’adresse. Ce n’est pas Calle Antonio Fernandez, mais Ferrandiz. Évidemment, Ferrandiz est un nom moins répandu que Fernandez. Je finis tout de même par trouver. C’est un quartier d’immeubles neufs à l’est de la ville. Des rues larges bordées d’arbres. Comme à Elche, tout est très bien entretenu. Et calme. En descendant de voiture je me rends compte qu’on n’entend que des oiseaux. Inattendu, mais bien agréable après 500 kilomètres de route.

Je trouve à me garer un peu difficilement, mais à l’ombre, à 100 mètres de l’immeuble. Le proprio est un quadra très sympa. J’ai une chambre à deux lits doubles, donc très spacieuse. La fenêtre donne sur les immeubles bleus du complexe de l’autre côté de l’avenue. Je ressors aussitôt pour manger quelque chose. Je me rends dans le bar-restaurant au look vaguement branché en face duquel je m’étais garé en arrivant. Deux bières et un très bon hamburger maison pour la somme faramineuse de 4,30 €. Service efficace et décontracté.

Des petits détails me frappent. Contre toute attente, je trouve les Espagnols très disciplinés et courtois. Les piétons attendent sagement que le feu passe au vert pour traverser, même s’il n’y a pas de voitures en vue. Quant aux automobilistes, s’ils voient quelqu’un s’apprêter à traverser, même s’il ne s’est pas encore engagé, ils s’arrêtent. Je remarque aussi qu’ici on se tutoie très facilement. Ce qui n’empêche pas d’être respectueux. Ça me rappel Foz do Iguaçu, à la frontière entre le Brésil et l’Argentine, où les hommes font le tour de la voiture pour ouvrir la portière à leur femme.

Almería vue depuis la forteresse de l’Alcazaba

Almería vue depuis la forteresse de l’Alcazaba

Comme je suis arrivé tôt, je décide de profiter de l’après-midi pour aller dans la vieille ville. En attendant au feu de pouvoir traverser, j’avise de l’autre côté de la rue le cabinet d’une puéricultrice qui s’appelle… Infante. Décidément, elle a un nom prédestiné. Almería est assez quelconque. En arrivant à la cathédrale, j’apprends que la visite est payante et guidée. Pas envie de me retrouver dans un groupe de touristes. Je remets le projet de la visiter à demain. Pour le moment, j’ai envie de rester à l’extérieur pour profiter du soleil, et je monte jusqu’à l’Alcazaba, l’ancienne forteresse maure qu’on finit de restaurer. L’entrée est gratuite. Un avant-goût d’Alhambra. Jardins maures avec bassins et cascades, motifs géométriques et murailles érigées il y a 800 ans. Je passe un moment agréable à visiter tranquillement.

Dans la vieille ville

Dans la vieille ville

Forteresse de l’Alcazaba

Forteresse de l’Alcazaba

Forteresse de l’Alcazaba

Forteresse de l’Alcazaba

En début de soirée je vais boire une bière dans un grand bar au coin de la rue. D’autorité, le barman me dépose une coupelle de mélange japonais puis une petite assiette contenant de petites tranches de jambon serrano avec des chips. C’est l’heure de l’apéro et c’est mon baptême tapas. De mon dernier séjour à la fin des années 80, j’ai gardé le souvenir de tapas extrêmement salées, mais là ce n’est heureusement pas le cas. À la table voisine, deux jeunes femmes avec leurs chiens et leurs gamins boivent une bière. Ils vont se faire photographier avec les jeunes de la table du fond. À deux ou trois autres reprises, d’autres gamins d’une dizaine ou d’une douzaine d’années se font prendre en photo avec ces jeunes mecs. Quand ils s’en vont, les deux mères de famille les remercient pour la photo. Des célébrités locales, sans doute.

Je comptais bouquiner un peu avant de dormir, mais je ne suis pas arrivé à lire plus de deux pages. Vanné !

Jeudi 30 mars

Je me réveille une première fois à six heures, mais je me force à somnoler encore un peu. Ce matin je vais faire une petite rando dans le désert de Tabernas, à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Almería. C’est là qu’ont été tournés pas mal de westerns spaghetti dans les années 60. Aujourd’hui, on peut y visiter un site appelé Rio Bravo où sont proposées des animations western pour les touristes.

Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023

Il est encore tôt et ce n’est qu’une fois au village de Tabernas que je peux boire un café. Je visite rapidement l’église, plutôt jolie d’ailleurs, avant de me rendre à l’entrée de Rio Bravo. Je gare la voiture à l’ombre du panneau géant du chemin d’accès, où je suis bientôt rejoint par des camping‑cars allemands et hollandais. Comme je me fiche du spectacle western, je dois descendre le chemin à pied sur quelques centaines de mètres en protégeant l’objectif quand un camping-car passe en faisant de la poussière avant de remonter une pente assez raide jusqu’à l’entrée de Rio Bravo. Le guichetier me dit que pour le sentier du Désert de Tabernas, je dois faire demi-tour jusqu’en bas.

Andalousie Pâques 2023

Le chemin démarre tout de suite à droite. Pff. Je m’étais un peu douté que c’était là, mais il n’y avait strictement aucune indication. Au bout de quelques centaines de mètres, je vois un bouquetin au milieu du chemin. J’ai juste le temps de faire la photo avant qu’il se sauve. Un peu plus loin je cause cinq minutes avec un randonneur qui vient en sens inverse. Un jeune type de Barcelone qui prend des photos d’oiseaux. Il est venu passer quelques jours chez une tante qui habite dans le coin.

J’ai repéré les lieux, c’est ici qu’on attaquera la diligence.

J’ai repéré les lieux, c’est ici qu’on attaquera la diligence.

Pour ma part, je photographie des formations rocheuses intéressantes, ce qui ne manque pas. Certaines me rappellent celles de Sete Cidades, dans le parc national de Piripiri au Brésil.

Les dépôts calcaires évoquent ici quelque ruine de temple antique.

Les dépôts calcaires évoquent ici quelque ruine de temple antique.

Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023

Au bout d’une bonne heure de marche j’ai l’impression que ça ne sert à rien de continuer quand j’entends des voix sur ma gauche. Des retraités français. Ils sont en Espagne depuis plusieurs semaines déjà. On discute un bon moment. La conversation ayant dérivé quelques instants sur la météo, ils me disent en avoir ras le bol de la propagande autour du réchauffement climatique. Tiens, le bon sens serait-il de retour ? Ils me disent aussi qu’un kilomètre plus loin il y a un superbe canyon. Je continue donc mon chemin, mais en vain. Je me retrouve sur la route face à l’Oasys Hollywood, qui semble être un grand camping. À 4 kilomètres de l’entrée de Rio Bravo. Ah ben bravo ! Quatre bornes pour revenir à la voiture. J’ai bien fait d’emporter de l’eau. Pour le retour je prends donc le même chemin en sens inverse et j’arrive à la voiture sur le coup d’une heure.

Dans quel western voit-on cette ruine mexicaine ?

Dans quel western voit-on cette ruine mexicaine ?

Curieuse formation évoquant une veille ferraille rouillée comme on en voit dans le parc national de Piripiri (Brésil)

Curieuse formation évoquant une veille ferraille rouillée comme on en voit dans le parc national de Piripiri (Brésil)

Sierra Nevada - Gorda

Sierra Nevada - Gorda

Sierra Nevada

Sierra Nevada

Je repars en direction d’Almería, mais bifurque peu après vers Gorda et la Sierra Nevada. J’arrête d’abord sur le parking en contrebas du pont pour faire un gueuleton dans la voiture : beurre de cacahuètes et bonbons à la menthe en dessert. Avec une bonne rasade d’eau en bouteille. Je roule tranquillement sur les routes de montagne jusqu’à Alcolea, à une bonne cinquantaine de kilomètres plus à l’ouest en arrêtant fréquemment pour faire des photos. Bien qu’on soit en altitude, il fait dans les vingt degrés. Un peu avant Alcolea, je consulte l’altimètre : 870 mètres. Au loin, un sommet montagneux est encore couvert de neige. Je découvrirai le surlendemain que ce sont les sommets qui dominent Grenade. « Mes » randonneurs normands m’avaient justement demandé si j’en avais vu. Si je les croise les prochains jours, je saurai quoi leur répondre.

Sierra Nevada

Sierra Nevada

Village typique de la Sierra Nevada

Village typique de la Sierra Nevada

Sierra Nevada

Sierra Nevada

Sierra Nevada

Sierra Nevada

Sierra Nevada

Sierra Nevada

Sommet enneigé dominant Grenade

Sommet enneigé dominant Grenade

Il est aux alentours de quatre heures et demie quand j’arrive à Alcolea et décide de redescendre vers la côte. Je voudrais tout de même voir de mes propres yeux l’océan de serres repéré dans Google Earth. Je ne suis pas déçu. C’est incroyable. Toute la plaine en est couverte. Au milieu surgissent çà et là une ou deux villes. Spectacle incongru. Les appartements des étages supérieurs des immeubles ont vue sur mer et vue sur serres !

La « mer de serres » d’Almería

La « mer de serres » d’Almería

Petite parenthèse. Depuis que je suis parti de France, j’ai essayé le GPS de Via Michelin aujourd’hui. Très bien à l’aller, mais je m’en serais facilement sorti tout seul. Au retour je l’ai maudit. Entre les noms de rue mal prononcés et les changements de direction indiqués trop tard, sans parler de cette biiip de boîte six vitesses manuelle, j’en ai plus que marre en arrivant. Par chance j’ai trouvé à me garer juste en face de l’immeuble. Toujours dans le domaine des GPS, j’ai maintenant essayé Google Maps, Via Michelin et Waze. Ils se valent à peu près, mais j’aurais une préférence pour Waze. Il est plus complet et on peut choisir la langue. Sur la route depuis la frontière, je l’avais laissé en anglais. Seulement quand j’ai entendu « Alba Seat » pour Albacete, je me suis dit qu’il serait judicieux de choisir la langue espagnole. Via Michelin est un peu trop adapté au français. Calle est prononcé « cal ». A Elche, rue se dit « carrer », l’équivalent catalan de calle. Seulement c’est prononcé « carré ». Donc, Waze et en espagnol. Et puis Waze signale les zones où la vitesse est contrôlée par radar si j’en crois les panneaux sur l’autoroute. J’en doute quand même, les automobilistes qui connaissent le coin ne faisant pas mine de ralentir pour autant. Fin de la parenthèse.

En rentrant, après une douche autant méritée que nécessaire, je ressors manger dans le même restau qu’à mon arrivée. Je prends une demi-portion de coques avec des crevettes et une sorte de petits spaghetti, le tout en persillade. Un délice. Ensuite je vais boire une bière dans le café à côté. D’autorité on me sert une assiette de tapas, en l’occurrence de fines tranches de jambon serrano, des fèves grillées et des tranches d’un fromage qui rappelle la tome des Pyrénées. Me voilà calé !

Je me couche relativement tôt après avoir rédigé ces quelques lignes. Demain, je ne veux partir trop tard. Grenade n’est pas loin, mais je veux faire une petite halte à Guadix pour voir les cheminées des maisons troglodytes. Et puis si j’arrive tôt à Grenade, je pourrai peut-être visiter l’Alhambra dans l’après-midi.

Vendredi 31 mars

Je me réveille à trois heures et demie du matin : trop chaud. La persillade, sans doute. Surtout, j’ai très soif et presque plus d’eau. Tant pis, je finis la bouteille, de toute manière j’en ai d’autre dans la bagnole. Je me rendors finalement sans difficulté pour me réveiller vers sept heures. Il fait encore nuit, c’est parfait.

La sortie de la ville s’effectue sans encombre, il n’y a que peu de circulation à cette heure-là. Une demi-heure plus tard je m’arrête boire un café à la station-service de Tabernas avant de repartir. Sur l’autoroute la circulation est très fluide. Mon itinéraire est plus ou moins parallèle à celui d’hier après-midi, sauf que suis sur le côté nord de la montagne. Même paysages arides et tourmentés, mêmes villages aux maisons chaulées accrochées au flanc des montagnes.

Sierra Nevada - Dans les environs de Guadix

Sierra Nevada - Dans les environs de Guadix

J’arrive à Guadix vers neuf heures et demie ou dix heures et me gare dans une petite rue en contrebas de la cathédrale avant d’aller la visiter. À l’intérieur elle est très sombre, le contraste étant d’autant plus violent que la lumière est très forte à l’extérieur. Je ne suis cependant pas déçu : elle est de style baroque et je me régale à faire les photos. D’autant plus que le boîtier dont je viens de faire l’acquisition fait des prouesses.

Guadix – La cathédrale

Guadix – La cathédrale

Guadix – La cathédrale

Guadix – La cathédrale

Guadix – La cathédrale

Guadix – La cathédrale

En ressortant, je remonte une petite rue derrière la cathédrale, du haut de laquelle j’aperçois les fameuses cheminées des maisons troglodytes à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau. Je récupère la voiture et je m’y rends aussitôt. De là-haut on a une très belle vue sur la ville. C’est par ailleurs très paisible. Ces cheminées toutes blanches qui sortent droit de terre tranchent sur les ocres. Certaines sont percées de trous sur les côtés et, de loin, elles évoquent des têtes de fantômes de bande dessinée.

Guadix - Sierra Nevada

Guadix - Sierra Nevada

Guadix - Cheminée d'une maison troglodyte sur les hauteurs de la ville

Guadix - Cheminée d'une maison troglodyte sur les hauteurs de la ville

Je reprends la route vers onze heures et demie. Je ne suis plus qu’à une soixantaine de kilomètres de Grenade. Une fois de plus je fais confiance à Waze et, ma foi, j’arrive vite à destination. Je dois patienter un petit peu, l’adresse donnée n’est pas tout à fait exacte : l’immeuble se trouve en fait de l’autre côté de la place. Mon hôte me rejoint à la bagnole et m’indique où je dois me rendre. Il est marocain et me parle en français. Son appartement est assez vaste, au huitième étage et j’ai vue sur la place. Tout le quartier semble marocain, d’ailleurs. On y entend d’ailleurs plus parler arabe qu’espagnol.

Grenade

Grenade

Grenade - Les remparts de l'Alhambra

Grenade - Les remparts de l'Alhambra

Comme il est tôt, je décide de filer à l’Alhambra sans attendre. Le GPS me fait passer par le centre, c’est l’enfer. Ça n’avance pas, principalement à cause des piétons et des trottinettes. Le coin est très animé. Beaucoup de jeunes, des punkettes qui seraient jolies si elles n’avaient pas autant de tatouages et puis des gens qui font tout bonnement leurs courses. Je trouve par chance une place pour me garer à 500 mètres en contrebas de l’Alhambra et fais le reste du chemin à pied en passant par les jardins. Des couples de touristes pique-niquent ou soufflent un peu de loin en loin. Entre les frondaisons on aperçoit les remparts ocres, particulièrement imposants, qui se découpent sur le ciel d’un bleu insolent. En arrivant, je constate qu’il y a une foule invraisemblable, des cars de touristes, des minibus qui vont et viennent. Aïe, ça semble mal engagé. Et de fait, tous les billets d’entrée ont été vendus. On me dit que si je veux avoir une chance d’entrer demain à condition de me connecter au site à minuit pile, parce que les billets restants seront vendus dans les dix minutes. Si j’ai bien compris, il faut réserver des mois à l’avance. Ça ne me rassure guère pour Séville, déjà qu’à Cordoue c’est fermé pour cause de Semaine Sainte…

J’hésite un peu entre traîner dans le centre, où il y a sûrement de la photo à faire, et sortir de la ville pour souffler un peu après tout ce stress. J’opte pour la deuxième solution et repars dans la Sierra de las Alpujarras. Le but est un patelin que je trouverai finalement pas à cause de Waze, pour changer, mais la route est superbe. Un virage, souvent en épingle à cheveux ou presque, tous les cinquante mètres. Je finis par me retrouver devant l’entrée d’une ancienne carrière ou je ne sais quoi. Heureusement il y a un terre-plein où je peux faire demi-tour : sur les derniers kilomètres la route permet tout juste à la voiture de passer. Qu’est-ce qu’on s’amuse, la petite Fiat 500 et moi !

De retour à Grenade vers six heures et demie je me pose à l’appart. Pas envie de courir, je vais donc chercher un hamburger halal au petit restau kebab en bas de l’immeuble. Un hamburger halal ? Tu te régales !

Demain matin je vais tâcher de partir assez tôt pour visiter le Parque de Antequera où on trouve des formations rocheuses étonnantes. Ensuite je repartirai pour Ronda afin d’y passer la nuit. Et après-demain, détour par le village des Schtroupfs, peut-être, mais surtout, le Caminito del Rey avant d’aller à Séville.

Samedi 1er avril

Il fait frais et le jour commence à poindre quand je sors de Grenade en direction d’Antequera. J’y arrive vers huit heures et demie et il fait un temps magnifique. À première vue, c’est une jolie petite ville, mais pour le moment je me dirige vers le parc naturel Torcal de Antequera. Un peu avant d’arriver, je vois un énorme nuage envelopper la montagne et je crains le pire. Si on est dans le brouillard, ça ne va pas être génial pour les photos. Heureusement, ce n’était qu’une fausse alerte et le ciel se dégage. Dans les trois derniers kilomètres avant d’arriver au centre d’accueil des touristes, on a déjà un bon aperçu. Les reliefs karstiques sont effectivement spectaculaires. Quand je me gare sur le parking, il n’y a que deux ou trois autres voitures. Je me dis qu’à cette saison, il n’y a peut-être pas grand monde. Il souffle un vent du nord assez fort et il fait frisquet.

En lisant les panneaux d’information, je vois qu’il y a deux itinéraires possibles : le vert, d’une heure, et le jaune, de deux heures. Avant de partir, je fais un crochet au centre d’accueil. Deux ou trois employés viennent d’arriver, mais ça n’ouvre que dans une demi-heure. Tant pis, le café ce sera pour plus tard. Va pour le parcours jaune, je n’aurai pas fait tout ce chemin pour rien. Il est très accidenté, mais à la portée de n’importe quel randonneur du dimanche. Et on en prend plein la vue. Entre les colonnes de guingois dont on a parfois l’impression qu’elles vont vous tomber dessus, les plissés causés par l’érosion sur les parois inclinées et les « galettes » formées par l’érosion, on passe son temps à s’extasier. Tout à coup, stupeur : un bouquetin se tient à cinq mètres devant moi sur un rocher. Il est en train de brouter les feuilles d’un épineux. Apparemment, il ne m’a pas entendu. Je prends soin de ne pas faire de bruit et je me baisse pour le prendre en photo. En fait ma présence ne lui fait ni chaud ni froid. Ici, il est habitué aux humains. Quelques centaines de mètres plus loin j’aperçois un couple de randonneurs en contrebas. Ils sont justement en train de photographier ou de filmer un bouquetin. En m’approchant je constate qu’ils – les bouquetins, pas les randonneurs – sont cinq ou six. Deux d’entre eux semblent se bagarrer en se donnant des coups de tête. Quelques instants plus tard, je me rends compte de mon erreur : c’était un plan drague et je comprends vite que le mâle a pécho.

Les deux randonneurs sont un couple de Français. Il me pourrissent un peu la journée en m’apprenant que cet après-midi ils font le parcours du Caminito del Rey, mais qu’il faut réserver au moins trois mois à l’avance. Là, je l’ai un peu mauvaise surtout que j’avais vraiment très envie de le faire, ce parcours-là. Bon, ça donnera une bonne excuse de plus pour revenir.

Peu avant d’arriver au terme du parcours, je croise deux ou trois groupes de jeunes randonneurs espagnols. Je me rends compte que, comme le couple de Français, j’ai fait le parcours à l’envers, à partir de l’endroit où j’ai garé la voiture. En arrivant au centre d’accueil, je suis stupéfait de voir toute une foule et le parking plein à craquer. La plupart des visiteurs sont venus en voiture, mais d’autres descendent de cars de tourisme ou de minibus d’agences travaillant avec les hôtels du coin. Cependant, les plus courageux, ce sont ces vététistes que j’ai doublés sur la route en venant. Avant de repartir je bois un café. Je suis surpris de voir autant de monde. Ils ne vont pas tous faire le parcours, tout de même, si ?

J’arrive à Antequera sur le coup de midi et je gare la voiture sur un petit terre-plein. Une ou deux photos de la forteresse maure qui domine la ville et je m’arrête déjeuner à la terrasse d’un bistrot. Le thermomètre de la pharmacie d’en face affiche 22° et les nuages qui m’avaient inquiété ce matin ont disparu depuis longtemps. De l’autre côté de la rue une douzaine de personnes sont attablées devant un curieux bâtiment évoquant une chapelle, mais au style hésitant entre roman et mauresque. Les cyclistes de ce matin sont quant à eux attablés devant la porte de l’établissement. Je revois passer le couple d’Anglais qui cherchait l’entrée de la forteresse que je suis allé voir avant de chercher un restaurant. Après déjeuner je traîne un petit peu dans les rues pavées et aux façades chaulées. Un rideau protégeant contre les mouches ferme l’entrée de presque toutes les maisons. Ici, on vit beaucoup dehors et on n’a pas de temps à perdre à ouvrir et fermer des portes.

Je ne suis en principe plus qu’à une petite heure de route de Ronda. Pour traverser la ville je m’en remets à Waze. Une fois sorti d’Antequera, un truc me chiffonne : je devrais aller vers l’ouest alors que là, de toute évidence je roule plein est. Arrêt, vérification dans Waze et stupeur : il me renvoie en direction de Grenade. OK, voyons ce que donnera Google Maps. Là, ça semble coller… jusqu’au moment où je me rends compte que lui aussi m’envoie dans la même direction. Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? C’est là que l’étincelle surgit. Au fait, est-ce qu’il n’y aurait pas par hasard un autre bled portant le même nom ? Bingo : il y en a quatre en Andalousie ! Dans Waze ou Maps, il faut donc indiquer celui qui est libellé « Ronda AN », AN pour Andalousie. Et là, ô miracle, j’ai bon. Une heure plus tard j’arrive à Ronda. Seulement il faut encore trouver l’hôtel. Je saisis l’adresse exacte qui, ouf ! est reconnue par Waze et je me retrouve en plein dans le centre-ville. Le cauchemar. Totalement impossible de trouver une place pour se garer, même avec une Fiat 500. De guerre lasse, je vais au parking souterrain en plein centre de la vieille ville. J’ai choisi cet hôtel parce qu’on pouvait garer la voiture, mais on ne disait pas qu’il fallait en réalité aller au parking payant. Pas grave, c’est tout près de l’hôtel.

Cette nuit, au moins je suis dans un hôtel et pas dans une chambre chez l’habitant. Je préfère. On entre et on sort comme on veut, quand on veut, sans craindre de déranger. Et puis cet hôtel est particulièrement bien situé.

Ronda est une ville assez curieuse. Elle est construite sur un éperon rocheux séparé en deux par un ravin spectaculaire, d’une profondeur de 170 mètres. Un pont en pierre relie les deux parties de la ville. Depuis la partie la plus ancienne on peut descendre jusqu’au pied du pont. Sur le chemin, je croise deux ou trois jeunes Allemands avec leur mère. Celui qui l’aide à monter suggère une petite pause. Na, Mutti, wollen wir eben kurz Pause machen? Une petite pause ? Tu m’étonnes que Mutti ne se fait pas prier ! Il fait chaud et la pente est plutôt raide. Sans parler des cailloux qui roulent sous les pieds. Un peu plus loin, je vois une jeune nana accroupie dans un carré au milieu de petits tas de pierres. J’imagine que quelqu’un a un jour empilé deux ou trois pierres pour marquer son passage et que par la suite les autres touristes ont fait de même. C’est devenu une sorte de rituel initiatique. Ce petit carré de quelques mètres de côté ferait penser à un lieu de culte païen du bout du monde. La nana peste un moment - elle n’arrive pas à poser son caillou – et finit par repartir avec ses copains qui se fichent d’elle. J’avise une petite pierre qui vaguement la forme d’une pyramide et lui trouve une petite place au sommet d’un de ces cairns de Lilliputien. Tout en bas du pont la vue est finalement moins spectaculaire que d’en haut. En remontant je vois une grosse Anglaise flipper sa race pour descendre sur le sentier rocailleux : les petites sandales de ville ne sont pas vraiment adaptées. Un peu avant d’arriver en haut sur la place, je croise deux Japonaises particulièrement élégantes comme seules les Japonaises savent l’être. Euh, elles se rendent compte de ce qui les attend ? Ce sentier, c’est pas vraiment de tout repos. Les trois dernières marches, je les monte avec un jeune couple d’Espagnols qui comptent à rebours : « Tres, dos, una… ¡por fin! ».

Je traîne ensuite un bon moment du côté des anciens remparts. Il y a beaucoup de fleurs un peu partout et on a l’impression que les rues ont été parfumées. Peu après je me rends compte que ce sont les glycines. Il y en a partout et elles sont en pleine floraison, notamment autour de la Plaza de Toros. Je remarque aussi un truc auquel je n’ai pas trop prêté attention jusqu’ici, mais qu’on voit partout en ce moment : les églises sont pavoisées en vue des processions de Pâques. D’ailleurs, à Tabernas j’ai photographié les palanquins – j’ignore le nom exact qu’on leur donne – sur lesquels on porte l’effigie des saints ou les reliques. Demain il y a justement une procession à Ronda, mais comme je dois me rendre de toute manière à Séville, je pourrai en voir là-bas aussi. Le hic, c’est que ça attire un monde fou et je ne sais pas si je pourrai les voir dans de bonnes conditions. La réceptionniste m’a dit tout à l’heure qu’ici il y en avait une à midi, mais je serai déjà parti, et une autre le soir. J’imagine qu’à Séville c’est la même chose, mais en plus grand.

Mauvais poisson d’avril : le soir je fais une fausse manip’ et j’écrase toutes les photos de la journée !

Dimanche 2 avril – Une folle nuit sévillane

J’ai passé la nuit à Ronda, plus ou moins à mi-chemin entre Grenade et Séville. Réveillé vers six heures passées, je me mets en route sans tarder. J’ai décidé de faire le détour par le village des Schtroumpfs, qui se trouve à 25 km d’ici. Le ciel est très nuageux et le jour tarde à se lever. J’emprunte une route de montagne extrêmement sinueuse et, de nuit, il faut faire particulièrement attention : les virages serrés se succèdent tous les cent mètres et les phares éclairent tantôt la paroi rocheuse, tantôt le vide. Juste en arrivant le GPS m’indique un peu tardivement de prendre une petite route à droite. C’est une route en béton qui descend de manière assez abrupte avant de déboucher directement dans le village. Effectivement toutes les maisons sont peintes en bleu, ce qui doit être du plus bel effet quand le soleil est au zénith. Le contraste avec les teintes rousses de la roche doit être saisissant. Au bout de quelques minutes je me rends compte que c’était un peu idiot de faire ce détour puisque le jour commence tout juste à se lever. Je reprends donc la route en sens inverse en direction de Séville, en repassant par Ronda. Quelques kilomètres plus loin, j’ai une bonne surprise : nous sommes dans une plaine très légèrement vallonnée où abondent les cultures céréalières, fourragères et fruitières, mais aussi, hélas, les forêts d’éoliennes ici ou là.

Un matin dans la Sierra Nevada

Un matin dans la Sierra Nevada

J’arrive à Séville vers neuf heures et demie ou dix heures, le GPS me guidant jusqu’à ma destination en banlieue. Je m’attendais à un hôtel, mais il s’agit en fait d’une maison particulière dans petite rue calme, mais encombrée. Je vais me garer plus haut dans la rue voisine, où les habitants du coin sont attablés sur le trottoir à l’ombre des arbres, à prendre leur petit-déjeuner entre voisins. Comme je ne peux prendre possession de la chambre qu’à partir de trois heures, je vais déjeuner au restau chinois de la petite zone commerciale à côté de la station-service proche. Je me dis que pour le moment, le mieux est d’aller faire un tour en ville pour voir à quoi ça ressemble. Je déchante très vite pour ce qui est du stationnement. Comme à Ronda et un peu partout ailleurs, c’est l’enfer. Les parkings souterrains sont constamment saturés et, dans les rues, ça se partage entre zones bleues et zones vertes, dont je n’ai pas saisi la signification, du moins pour les vertes. Et pour les bleues, le disque n’est pas fourni avec la voiture de location.

À trois heures, je reçois les codes du portail et des portes de la maison. Ici, pas de clés, mais uniquement ces codes, heureusement très faciles à mémoriser. J’avoue en avoir un peu marre de l’hébergement chez les particuliers avec des clés qui ne marchent pas toujours bien. En entrant je découvre un vaste séjour-cuisine moderne, lumineux et d’une propreté irréprochable. Ma chambre est au deuxième. L’escalier en colimaçon grince beaucoup, mais c’est un inconvénient mineur. La chambre est à l’image du reste, les murs peints vert pomme et blanc. C’est gai et très propre. La salle d’eau, en commun avec le voisin de palier quand il y en a un (je n’en ai pas encore vu), semble aussi refaite à neuf.

Une fois installé, je reprends la voiture en direction d’un parking souterrain repéré dans un quartier à trois ou quatre kilomètres du centre. Cet éloignement semble le prix à payer pour pouvoir se garer. Une fois sur place, il s’avère qu’il est réservé aux résidents du quartier. Par chance, en ressortant je trouve juste une petite place dans une rue voisine, sur un trottoir entre un arbre et une autre voiture. Je prends note de la position sur mon téléphone et je me laisse guider jusqu’au centre par Google Maps. En fait, c’est assez loin, dans les quatre kilomètres, mais marcher ne me fait pas peur, je suis venu aussi un peu pour ça. Par curiosité je consulte l’altimètre : 33 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ça change agréablement des derniers lieux où j’ai séjourné, qui se situaient plutôt à neuf-cents mètres d’altitude. D’ailleurs peu après j’avise un panneau lumineux indiquant 33 degrés. Parfait.

La Torre del Oro sur les rives du Guadalquivir

La Torre del Oro sur les rives du Guadalquivir

Maps m’indique deux trajets possibles, d’égale longueur. Je prends le premier au pif, qui me fait longer un parc puis la Feria de Séville, un vaste terrain occupé par des baraques en toile pour l’heure en cours d’aménagement. Un peu plus loin, un pont franchit le Guadalquivir. Je longe alors le fleuve jusqu’à la Torre del Oro, la tour où on conservait l’or rapporté d’Amérique Latine par les premiers colons à l’époque de la splendeur de l’Espagne. Je me dirige ensuite vers la cathédrale, dont j’ai saisi les coordonnées dans le GPS. Ce n’est pas très loin, mais je suis surpris par la foule, de plus en plus dense : les processions commencent aujourd’hui. Les abords de la cathédrale sont fermés par des grilles temporaires et la foule est canalisée par les flics. Je finis par me retrouver devant l’entrée, tout surpris de voir deux préposés faire signe d’entrer. Ah bon ? Je croyais que c’était payant et qu’il fallait réserver des mois à l’avance ? En fait, certaines parties sont accessibles pendant les offices. En entrant je me retrouve dans la nef où ont été installées des centaines de chaises, déjà toutes occupées. Je suis arrivé pile au bon moment : une procession commence. Des dizaines de personnes portant des tenues de pénitents blanches avec un très haut chapeau pointu bleu arrivent, certaines portant une croix sur l’épaule. Elles sont précédées d’un autel baroque surmonté d’une statue du Christ porté par des hommes. Renseignements pris, ces « pénitents » sont au nombre d’environ 50 000 à Séville. Bénévoles, ils font partie de confréries. Ces manifestations se poursuivent tous les jours de la Semaine Sainte, qui commence aujourd’hui.

Procession dans la cathédrale

Procession dans la cathédrale

Dans les rues alentour, les processions se succèdent au rythme lent et solennel de tambours dont le son grave se répercute sur les façades. C’est assez impressionnant. On imagine l’effet que cela pouvait produire sur les populations des siècles passés, même si ce n’était pas forcément aussi fastueux. Je reste une heure ou deux sur place avant de décider de rentrer. En passant devant l’Alcazar, je découvre qu’il n’est pas nécessaire de réserver. Il suffit de se présenter au guichet à partir de neuf heures et demie le matin.

Allez, je rentre à l’hôtel. Je me suis levé tôt et la journée de demain risque d’être un peu longue. Comme le soleil se couche tard, je me rends compte qu’il est déjà près de huit heures et que j’ai une bonne heure de marche pour aller à la voiture. Seulement la batterie de mon téléphone est presque déchargée. Mauvaise nouvelle. Qu’à cela ne tienne, je vais bien arriver à retrouver mon chemin. Seulement, quelques centaines de mètres plus loin, je suis un peu perdu. Je découvre un inconvénient du GPS : en marchant on a le nez dessus et on pense moins à prendre des repères. Je finis tout de même par prendre une grande avenue censée me conduire au quartier où se trouve la voiture. Je ne reconnais rien, mais je continue quand même, sentant que je suis dans la bonne direction. Au bout d’un ou deux kilomètres je vois enfin les immeubles rouge grenat du quartier. Ouf ! Sauf que… pas moyen de retrouver la rue. Pourtant, il me semble que c’était bien là, dans une de ces rues à gauche. Je les sillonne les unes après les autres, mais sans succès. Je suis garé dans la seule où les voitures sont stationnées sur le trottoir, et là ce n’est le cas nulle part ! La batterie du téléphone a rendu l’âme et me voilà dans une belle panade. J’essaie de me remémorer la carte telle que je l’ai vue dans Maps. A priori, je suis plus ou moins dans le bon quartier, mais des immeubles comme ceux-là, il y en a aussi des quantités. À la fois énervé et un peu désespéré, je fais demi-tour jusqu’au début de l’avenue. J’apprendrai plus tard que c’est l’Avenida de la República Argentina. Un nom que je ne suis pas près d’oublier. Me voilà de retour au rond-point où j’ai dû passer tout à l’heure.

Je suis complètement paumé. Et puis je crois me souvenir du nom du parking, le Paseo Colón. Mais oui, c’est bien ça ! Pourtant, une petite voix me murmure que je me fourvoie. En désespoir de cause, je me raccroche à cette piste. Mais comment y aller ? Je refais appel à mon souvenir de la carte et j’arrive à la conclusion que je dois trouver un autre pont quelque part vers l’ouest. Juste avant que la batterie du téléphone lâche, j’ai vu qu’il y en avait un dans cette direction. Me voilà reparti. Je marche un très long moment dans des rues où je ne reconnais rien. Le soleil est en train de se coucher et j’espère que la nuit ne va pas tomber trop rapidement. À un moment donné, je me rends compte que la rue que m’indiquait Maps juste avant que le téléphone me lâche n’existe pas. Mais je suis où, au juste ? Les immeubles autour ressemblent vaguement, mais sans plus, à ceux de l’endroit où j’ai laissé la voiture. Devant moi il n’y a qu’un vaste échangeur routier. Ça ne tient pas debout.

Je ne sais comment, je tombe sur une station de métro. Blas Infante. Le nom ne me dit rien du tout, mais j’entre pour donner un coup d’œil. Logiquement, si je vais à la station suivante, je serai de l’autre côté du bras du fleuve que j’ai en tête. Je prends un billet et descends à San Juan Bajo. La nuit est tombée et je me retrouve dans de vieilles rues en pente. Je m’égare un moment. Là, je ne rigole plus du tout. Dans la rue, un type m’indique comment retourner à la station de métro, qui n’est en fait qu’à deux trois cents mètres en empruntant ce qu’il m’indique comme étant un ascenseur. Le bouton vert clignote longtemps, mais il ne se passe rien. De guerre lasse, je prends l’escalier qui se trouve à droite… pour me retrouver sur un petit belvédère où je suppose qu’on vient l’après-midi avec les enfants. Mais c’est un cul-de-sac. Je remonte l’escalier très énervé et me casse la figure sur la dernière marche. J’ai les articulations de trois phalanges de la main gauche qui saignent, mais je ne suis pas fait mal. Surtout, l’appareil photo est intact. C’est juste mon amour-propre qui en prend encore un coup. Je retourne à tout hasard à l’ascenseur, qui est en fait un funiculaire : la porte s’ouvre. Deux jeunes femmes en sortent, me souhaitant bon courage en riant : on se les gèle, là-dedans. En effet c’est climatisé et on se croirait dans un frigo. La descente est d’une lenteur désespérante. De la cabine je vois qu’il y a sur la gauche un escalier qui longe les rails et je me rends compte que j’aurais été aussi vite à pied. Enfin, là, je ne risque pas une chute. De retour dans le métro, je retourne à la station précédente, où je prends en fin de compte un billet pour la station suivante, Parque de los Principes. Il me semble que ça doit me rapprocher du point de départ.

Il fait nuit noire quand j’arrive à un énième rond-point. Je lâche in petto une bordée de jurons. En face, je vois une dame qui attend son bus. Je vais la trouver pour lui demander où on est par rapport au fleuve et, pour mieux me repérer, où se trouve le nord. Le soleil est couché, mais la lune n’est pas encore levée et je ne peux pas m’orienter. Le nord ? Elle n’en a aucune idée. C’est vrai qu’il y a deux choses qu’il ne faut jamais demander à une femme : son âge et les points cardinaux. Cela dit, elle est vraiment très gentille et semble presque plus embêtée que moi. Finalement, elle m’indique une direction grâce à laquelle je suis censé retrouver à un pont qui ramène en ville. Je la remercie chaleureusement. En fait de pont, il n’y en a pas plus que de beurre en branches et je me retrouve, histoire de changer, dans l’Avenida de la República de Argentina. Les publicités lumineuses des rares arrêts de bus me narguent : « Chez Orange, nous sommes convaincus que la technologie est faite pour relier les gens ». Parlons-en, tiens !

Andalousie Pâques 2023

Je retourne vers le quartier des immeubles rouges. Des familles sont en train de rentrer chez elles. Comme j’essaie de me repérer par rapport au parking souterrain qui était réservé aux abonnés du quartier, je leur demande s’ils savent où c’est. Ça ne leur dit rien du tout. J’explique alors à quoi ressemble la rue où j’ai laissé la voiture et l’un d’eux s’exclame : « ah, mais c’est la première à droite ». Ouf ! Gros soulagement. Je le remercie chaleureusement. Mais quelques minutes plus tard, grosse déception. Ce n’est pas là. Par chance il fait chaud et on trouve facilement un endroit où acheter de l’eau. Je ne le sais pas encore, mais je vais en faire une grosse consommation cette nuit. L’abattement succède à optimisme et inversement.

Une rue du quartier que j’ai sillonné pendant des heures

Une rue du quartier que j’ai sillonné pendant des heures

Je décide alors de sillonner le quartier systématiquement en faisant des allers et retours dans toutes les rues voisines. Là où j’ai garé la voiture, il me semble que les immeubles avaient un aspect un peu déshérité, alors que tout ce quartier-ci semble bien entretenu. À un moment donné, j’entends des tambours et je vois qu’il y pas mal de monde dans le coin. Plusieurs cafés sont ouverts et, en terrasse, les bouteilles de bière se sont accumulées sur les tables. Ça cause fort, ça rigole. Une procession est en train de s’achever autour de l’église du quartier.

Une heure du matin. La procession organisée dans le quartier vient de prendre fin.

Une heure du matin. La procession organisée dans le quartier vient de prendre fin.

Je retrouve finalement l’Avenida de la República de Argentina, où j’avise une dame qui descend d’un taxi. En fait, c’est un Uber. Le chauffeur me dit qu’il ne peut me prendre que si j’ai l’appli. Ce n’est pas mon cas. Sympa, il me propose quand même de me déposer à la Plaza de Armas, qui est à deux pas du fameux parking Paseo Colón. Entre-temps, j’ai la quasi certitude que ce n’est du tout là que je dois aller, mais j’y vais quand même. Ça fait du bien d’être assis dans une voiture confortable. Et le mec est vraiment sympa. Quand je lui demande ce que je lui dois, il me dit que c’est bon comme ça. Il a fait une bonne journée.

Une ou deux heures du matin en ville. Les processions ne sont pas terminées.

Une ou deux heures du matin en ville. Les processions ne sont pas terminées.

Andalousie Pâques 2023

Et là je me retrouve dans la foule à côté d’un des ponts partant du centre-ville. Les processions ne sont pas finies ! Il est près de deux heures du matin. Je marche depuis… depuis quand, déjà ? Bizarrement je ne me sens pas fatigué. La colère a disparu aussi, je n’en suis plus là. Par moments, j’en arrive même à en rire en me disant que ça fera une bonne histoire à raconter. Mais pour l’heure, ça devra attendre. Je parviens à m’extraire du cortège pour emprunter une rue sur le côté. Elle semble longer le fleuve et avec un peu de chance, me conduira au voisinage de la Feria. Je pressens en effet que c’est là que ça se joue, que j’arriverai à retrouver mon chemin. Dans ces rues anciennes je fais quelques photos pour m’occuper. Le Nikon fait merveille. Je photographie quelques vieilles façades, des ombres noires portant un chapeau pointu qui disparaissent au coin d’une ruelle.

Andalousie Pâques 2023

Je ne sais plus très bien comment, après quand même quelques nouvelles phases d’abattement, j’arrive à un grand rond-point qu’il me semble reconnaître par ses deux ou trois yuccas et autres cordylines dominés par le buste d’un illustre au sommet d’une colonne. Seulement, pour retrouver la Feria, à gauche ou à droite ? Je pars en exploration dans les deux sens. À chaque fois cette nuit que je pars explorer une direction, c’est entre cinq-cents mètres et un kilomètre à se coltiner, plus le retour. Pourtant je continue à marcher vite. Je me force aussi à garder le dos bien droit, me rendant compte que je fatigue moins comme ça. Les voyages forment la jeunesse, mais déforment la vieillesse ! Décidément, elle est instructive, cette nuit. À un moment donné, un couple de jeunes m’indique que la Feria, c’est par-là, pas bien loin. Tu parles, Charles. Soit ils se sont foutus de moi, soit ils se sont plantés. Et hop ! Encore un kilomètre ou deux pour rien avant de faire demi-tour.

Je ne sais comment, je retrouve le rond-point proche de la Feria. Je vois un type dans une bagnole, que je prends pour un taxi ou un Uber. Je vais le trouver pour qu’il me renseigne. En fait, il est juste en train de siroter une bière. Sympa, il m’indique l’Avenida de la República Argentina, à gauche au rond-point. Il me dit aussi que l’Avenida Virgen de Lújan est un peu plus loin. Ah, tiens, mais c’est un nom qui me dit quelque chose, ça ! Allez, je vais voir. Je la trouve finalement, bien plus loin que je ne pensais et l’emprunte quand même. Là encore sur un bon kilomètre, avant de me rendre à l’évidence : je fais fausse route. J’ai dû y passer avec la voiture, et c’est pour ça que le nom m’est familier. Je me rends compte que j’ai du mal à distinguer ce dont je me souviens de ce que j’ai réellement vu et intégré à mon souvenir du trajet suivi entre la voiture et le centre-ville. Par exemple, dans l’après-midi je n’ai pas du tout prêté attention à cette station-service devant laquelle je passe et repasse à plusieurs reprises, et pour cause : elle maintenant brillamment éclairée. À l’inverse, des éléments très visibles tel cet énorme portail toilé construit à l’entrée du parc voisin pour la Feria sont plongés dans le noir et j’ai bien du mal à le retrouver au moment où je pensais qu’il m’aiderait à me repérer.

Retour au rond-point. Peut-être faut-il prendre une avenue parallèle ? Le hic, c’est que je n’en trouve pas. Euh, la Feria, c’était par où, déjà ? Je repars. Ce manège dure longtemps, très, trop longtemps à mon goût. Je passe trente-six scénarios en revue avant de me retrouver dans l’Avenida de la República de Argentina. J’en arrive même à me dire que si, au matin, le succès se fait toujours attendre j’irai dans une boutique de téléphones portables acheter une batterie. Enfin, ça, ça suppose d’attendre au moins jusqu’à neuf heures. Franchement, je n’y tiens pas plus que ça.

Quatre heures et demie du matin.  Assis dans l’entrée d’un immeuble, je pique un petit somme dans un cadre de rêve face à la Feria.

Quatre heures et demie du matin. Assis dans l’entrée d’un immeuble, je pique un petit somme dans un cadre de rêve face à la Feria.

Toute cette folie dure jusque vers quatre heures et demie du matin quand, je ne sais plus comment, je me retrouve devant la Feria. La fatigue se fait tout de même sentir, surtout que la température, qui avoisinait les 22-24 degrés vers minuit ou une heure, est tombée à 17 et qu’il souffle un petit vent qui me fait frissonner. Dire que dans la voiture j’ai un pull, une doudoune et de la spiruline ! Sans parler du câble pour recharger le téléphone ! De temps en temps, je consulte l’heure sur mon appareil photo. Sa batterie à lui tient la charge, au moins. Quand je raconterai ma mésaventure à ma femme au téléphone, elle me demandera si je n’ai pas eu peur de me faire braquer. À vrai dire, ça ne m’a jamais effleuré l’esprit, d’une part parce qu’ici on se sent parfaitement en sécurité, d’autre part du fait que je marchais du pas décidé du gars qui rentre chez lui.

Je m’assieds à l’entrée d’un immeuble, les bras autour des genoux et je m’assoupis un petit moment. Il est cinq heures quand je me réveille. Dans mon sommeil me sont revenues des images de cet après-midi, et j’ai l’impression de voir clairement ce qu’il faut faire. En tout cas, dans le rêve c’était limpide. Je me souviens néanmoins de l’essentiel : d’ici, il suffit d’explorer systématiquement les avenues qui partent sur la droite. Quand je me relève, j’ai mal partout. Tant que les muscles et les articulations étaient échauffés, je ne sentais rien, mais là… Heureusement, au bout de quelques centaines de mètres, c’est reparti. L’ampoule du petit orteil droit s’est fait oublier. Je prends la première à droite, mais je dois faire demi-tour au bout de deux-cents mètres, c’est une impasse. La suivante, je la connais déjà : Virgen de Lújan. Un peu plus loin j’avise une enseigne lumineuse : un bar de nuit en train de fermer ou… un café qui vient d’ouvrir. Bingo, la deuxième réponse est la bonne. Deux ou trois types très dynamiques s’activent au comptoir pour servir une clientèle matinale. Je commande un café au lait, voilà qui va finir de me réveiller. Dans la cuisine, un type est en train de découper un jambon serrano en fines lamelles qui sont alors servies au petit-déjeuner de la tablée derrière moi.

Andalousie Pâques 2023

Il est maintenant six heures et demie. Il fait encore nuit, mais la lune s’est couchée depuis un moment et le ciel commence à blanchir à l’est. Il suffit d’aller dans la direction opposée. Tout ça me donne un coup de fouet et je repars… dans l’Avenida de la República Argentina. J’ai une petite idée en tête : un vague souvenir m’est revenu et que je dois vérifier. Arrivé dans la fameuse rue que m’a indiqué le père de famille il y a quelques heures, je décide de pousser le pied plus loin. Et au bout de la rue, je tombe sur le petit carrefour au-delà duquel j’ai garé la voiture. Je n’ai que trente mètres à faire pour la trouver. L’endroit est exactement comme dans mon souvenir. En voyant « ma » petite Fiat, j’ai comme un élan de tendresse ! J’ai pesté contre elle à cause de sa boîte de vitesses aux rapports trop courts, mais là, je lui pardonne tout !

Et qu’est-ce que ça fait du bien de s’asseoir ! Je rebranche le téléphone, il met un certain temps avant de remonter à 2 % de charge, mais le GPS fonctionne tout de suite. Pas grave, je suis tout à fait disposé à faire un petit somme si nécessaire en attendant qu’il se recharge. Et puis dans la voiture, je retrouve mon pull, que je m’empresse d’enfiler. Je n’ai pas froid, à vrai dire, mais un peu de chaleur supplémentaire ce n’est pas désagréable. Et puis dans la bagnole j’ai aussi du liquide pour ma clope électronique. Comblé !

En rentrant à l’hôtel, je m’efforce de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller les autres clients : je monte les marches en prenant l’intérieur, là où elles craquent le moins. Grand besoin d’une douche, mais pour l’instant je m’écroule. Après m’être lavé les mains, tout de même : en voulant laver le sang de mes doigts suite à ma chute dans l’escalier, je me rends compte que je n’ai jamais eu les mains aussi sales de ma vie ! Et dire que je me les suis passées un certain nombre fois sur le visage cette nuit dans les moments où je n’en pouvais plus !

Dire que tout ça est arrivé parce que la connexion Internet de l’hôtel ne marchait pas. Si ça avait été le cas, je serais effectivement rentré en taxi et j’aurais pu consulter le plan de la ville sur mon ordinateur. Quand j’ai pu le faire quelques jours plus tard, je me suis rendu compte que j’aurais tout de suite repéré l’endroit où j’étais stationné.

Je me réveille à dix heures vingt. J’ai fait un rêve bizarre, très coloré, de personnages très ridés dont les traits s’animaient constamment. Rien d’effrayant, juste très bizarre. L’impression d’avoir vu je ne sais où des illustrations, peut-être, qui ont pu inspirer ce rêve ? À propos de rêve, quand j’ai ma femme au téléphone ce soir, elle me dit avoir été réveillée deux fois dans la nuit en croyant m’avoir entendu. Il est vrai que j’ai beaucoup pensé à elle. Aux pires moments, je me suis imaginé tombé d’inanition ou je ne sais quoi et me réveillant dans un hôpital ou, pire, dans un commissariat à expliquer ce qui m’était arrivé… et à me représenter la tête de mes interlocuteurs échangeant des regards entendus...

Lundi 3 avril

OK, là je triche un peu avec la date suite à cette nuit de folie. Car c’est bien comme ça qu’il faut la qualifier. C’est vrai, il aurait été bien plus simple de prendre un taxi, après tout j’avais suffisamment d’argent et ma carte de crédit sur moi, mais j’avais l’impression que si je faisais ça, ce serait pire après. Il faut dire que la connexion internet de l’hôtel ne marchait pas. D’ailleurs, le couple de jeunes Danois qui était là à mon arrivée s’en était plaint. Le mot de passe n’est pas reconnu et le patron m’a soutenu qu’avec lui elle marchait. Sans blague ! Si ç’avait été le cas, je serais revenu dès hier soir. J’aurais pu consulter la carte de près et j’aurais tout de suite retrouvé l’endroit. Je me retrouvais donc pris dans une sorte de cercle vicieux. J’avais besoin d’un téléphone chargé pour trouver la voiture, mais c’est justement là que se trouvait le cordon pour le brancher.

Après la douche, je prends un café au centre commercial à côté de la station de métro qui se trouve à deux pas de l’hôtel. Pas du tout pensé à ça hier. Ça m’aurait évité bien des déboires. Il conduit tout droit au centre-ville, à quelques centaines de mètres de la cathédrale, qui plus est. Le pire, c’est que l’endroit où j’ai pris ce funiculaire hier soir n’est qu’à trois stations d’ici. Il est vrai que s’il y avait des plans de ville, même rudimentaires, aux arrêts de bus et dans le métro, comme c’est parfois le cas, ce serait plus pratique. Enfin, dans le métro, j’en ai vu, mais ils sont vraiment trop imprécis. Et puis de nos jours, tout le monde a un smartphone, n’est-ce pas ? Avant, j’aurais pris mentalement des repères et j’aurais trouvé facilement. Là j’ai eu le tort d’essayer Google Maps.

La cathédrale

La cathédrale

La Giralda

La Giralda

Ce matin il fait très beau et il y a du monde dans les rues, surtout autour de la Giralda et de l’Alcazar. J’y fais la queue une petite demi-heure. Ça va, il n’y a pas trop d’affluence. Seulement en approchant du guichet je vois un petit panneau indiquant qu’il faut impérativement présenter une pièce d’identité. Et m... ! J’ai oublié mon passeport. En même temps ça m’arrange un peu : je rentre à l’hôtel et je vais plutôt consacrer ma journée à récupérer et à rédiger ces quelques lignes. L’Alcazar, j’y retourne demain matin bien en avance pour être parmi les premiers à faire la queue.

Onze heures et demie du soir. Je suis dans ma chambre à écouter sur ma tablette les œuvres pour piano de Clara Schumann, une musique apaisante parfaite. Bizarrement, je ne cesse de repenser à la nuit dernière. À cette heure-ci je ne sais plus très bien où j’en étais, mais j’ai l’impression d’être un peu traumatisé par cette expérience. Qu’est-ce qui m’a pris de m’obstiner à ce point ? C’est vrai que j’ai eu tout du long l’absolue certitude que j’allais la retrouver, cette bagnole, mais là, tout de même ! Bah, ça ira mieux demain. Pour l’heure, un bon livre et de la bonne musique, ça panse toutes les plaies.

Mardi 4 avril

Vraiment bien dormi et tout à fait remis de mes émotions. Levé de bonne heure, je file à la station de métro en voiture, je me gare à côté pour boire un café. Vers huit heures et quelques, je prends le métro pour Puerta Jerez. De là, il n’y a que quelques centaines de mètres à parcourir dans une large avenue bordée d’immeubles majestueux pour arriver à l’Alcazar. À cette heure, on est loin de la foule du soir pendant les processions. Il n’y a que des gens qui vont travailler. À l’Alcazar je suis quasiment le premier pour la file d’attente. Seul un couple de Français m’a précédé. Cette fois je n’ai pas oublié mon passeport, mais j’ai un instant de panique quand on me dit que je dois payer par carte. Heureusement, je me rends compte in extremis que je l’ai bien sur moi. Bonne surprise : mon grand âge me permet de bénéficier du demi-tarif et je ne paie que 6 € au lieu des 13,50 qu’on m’a annoncés hier.

Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023
L'orgue hydraulique

L'orgue hydraulique

Les bains de Doña María de Padilla

Les bains de Doña María de Padilla

Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023

Je déambule donc dans les différentes salles et les jardins pendant une bonne heure. Pas de chance, le ciel est plombé ce matin, ce qui gâche un peu la visite. Les jardins sont beaux, mais il faudra revenir un jour où il y aura du soleil. Là, tout semble bien terne. Le style maure est omniprésent avec les portes polylobées et les motifs géométriques, mais je suis un peu déçu. Je m’attendais à voir quelque chose de plus sophistiqué. Un peu de mal à trouver la sortie, qui n’est pas indiquée. Heureusement, deux femmes de ménage m’indiquent le chemin.

Une fois dehors, je traînasse un peu autour de la cathédrale. Avant d’entrer dans l’Alcazar, alors que je causais avec les Français, une guide à la recherche d’Italiens nous a donné deux ou trois infos, notamment que la cathédrale comportait 46 chapelles. On est un peu étonnés, mais un peu plus tard je tombe justement sur un plan et constate que c’est bien le cas. Ce matin, les parties qu’on peut visiter sont différentes de celles de dimanche, Semaine Sainte et processions obligent. Je refais quelques photos de ce que je n’avais pas encore pu voir. En sortant je me mets en quête de figurines de pénitents. Ma femme m’a envoyé un MMS avec une photo trouvée sur Internet et le message « j’en veux un ». Par chance j’en trouve dans une boutique de souvenirs juste de l’autre côté de la rue. Elles ne sont pas extraordinaires, et je suis surpris de ne pas en trouver dans les quelques autres boutiques où j’entre jeter un coup d’œil. En plâtre, elles ne mesurent que 7-8 centimètres de haut et sont déclinées en quatre couleurs en tout. Je m’attendais à en voir sous trente-six formes, y compris humoristiques. Curieux.

De là, je me rends à la Place d’Espagne, que j’avais notée dans ma liste de lieux à voir. Entre‑temps le soleil fait mine de vouloir se manifester. Le ciel est toujours un peu plombé, mais il fait plus chaud. Cette place en demi-lune très vaste est fermée d’un côté par un immense bâtiment en briques formant un arc de cercle bâti à l’occasion d’une exposition universelle il y a un peu plus d’un siècle. Elle fait face à un parc magnifique où je vois des oiseaux d’un très beau vert qui me font penser à des aras. Il va falloir que me renseigne là‑dessus. Cette demi-lune est fermée par des bassins bordés de balustrades en faïence, tandis que des jeux d’eau animent le bassin rond au centre de la place. Les touristes qui découvrent la ville en calèche font un selfie en passant devant. Je reste un bon moment à photographier toutes les niches en faïence représentant des moments historiques de chacune des principales villes d’Espagne.

Plaza de España

Plaza de España

Plaza de España

Plaza de España

Plaza de España

Plaza de España

Plaza de España

Plaza de España

Tout à coup, je me rends compte que je ne me sens guère inspiré aujourd’hui. Quand on fait des photos, il y a des jours avec et des jours sans. Alors je prends la direction du centre historique avec l’intention de visiter une des différentes églises repérées sur le GPS. Après tout, tout le monde va à la cathédrale, mais il y a souvent de petites églises qui valent bien le détour, surtout en Espagne. Je traverse des rues assez typiques, mais somme toute moins intéressantes à photographier que j’aurais imaginé. Il est deux heures et demie de l’après-midi et les terrasses sont très animées.

Rue pavoisée pour les processions

Rue pavoisée pour les processions

Andalousie Pâques 2023

Je me rends compte qu’on est en train de barrer certaines rues en vue des processions qui doivent commencer en fin d’après-midi. D’ailleurs, l’église que j’avais repérée est pavoisée et fermée au public. On commence à voir apparaître des coiffes pointues. Ces pénitents-là sont tout de blanc vêtus. Un certain nombre sont des enfants accompagnés de leurs parents « en civil ». Je repars en direction de la cathédrale parce que mon petit doigt me dit que j’ai intérêt à me rapprocher de la station de métro si je ne veux pas être piégé dans la foule quant les processions vont commencer.

Andalousie Pâques 2023

Je m’assois à une terrasse de café au pied de la cathédrale quand j’entends une fanfare et des tambours. Ça y est, ça commence. Je me dépêche de régler ma consommation et me rapproche de la procession. Les pénitents sont en blanc mais portent une coiffe de couleur amarante. Les tout premiers portent une croix, mais ceux qui suivent ont un grand cierge renforcé à la base, qui fait office de bâton de pèlerin – ou de marche. Par chance, il n’y a pas encore trop de monde et je trouve facilement un emplacement sur le quai d’un arrêt de tram pour faire les photos. Arrive une fanfare suivie de la statue du Chris sous son dais. Derrière, ce sont des centaines de pénitents qui suivent sur deux rangs pendant une bonne demi-heure. Je ne suis évidemment pas le seul à faire des photos. Tout le monde brandit un smartphone, tandis que je me retrouve avec deux ou trois photographes apparemment professionnels à prendre des libertés pour me glisser entre les rangs des pèlerins. L’avantage d’un gros appareil est qu’on te prend facilement pour un pro, et c’est bien utile dans ce genre de situation. À un moment, je me suis demandé combien de centaines de pénitents avaient pu défiler au cours de cette seule procession.

Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023

Il arrive de plus en plus de monde, et je ne compte pas m’éterniser. J’ai eu mon compte de processions. D’un côté, j’aurais bien envie de rester jusqu’à la nuit tombée, mais de l’autre je commence à saturer. Je me dirige donc vers le Guadalquivir, qui est tout près d’ici et à deux pas de la station de métro. Arrivé sur les berges, je me fais alpaguer par un mec qui vend des billets pour une balade en bateau-mouche. Ah tiens, pourquoi pas ? C’est un bateau électrique alimenté par 80 m² de panneaux photovoltaïques. Effectivement silencieux. La balade dure une heure et elle est totalement inintéressante. Les bords du fleuve n’ont rien de pittoresque et les commentaires en trois ou quatre langues sont un peu creux. On nous parle évidemment de Christophe Colon, mais curieusement pas un mot de la Caravelle devant laquelle on passe à deux reprises et qui me semble pourtant l’élément le plus intéressant.

La caravelle

La caravelle

À la fin de cette balade je décide de rentrer à l’hôtel. Grand bien m’en a pris parce que dans le métro un message recommande aux voyageurs d’éviter cette station pour le reste de la soirée à cause des processions.

De retour à l’hôtel je discute un petit moment avec ma voisine de palier de ce soir. Une Roumaine qui vient d’arriver pour visiter l’Andalousie. Je m’installe ensuite dans la salle commune pour écrire en buvant un café. Arrivent ensuite deux couples qui me saluent en anglais. Il semble y avoir plus de monde ce soir.

Demain je pars à Cordoue pour une nuit. Comme je ne peux prendre possession de la chambre qu’à partir de 16 heures, je suis un peu embêté. Je serai là-bas dans la matinée et l’hôtel est à 10 km du centre. Seulement cette fois je n’ai pas envie de me payer une nouvelle galère parking. J’ai donné. Les Français rencontrés à l’Alcazar m’ont dit qu’on pouvait visiter la cathédrale-mosquée ou plutôt mosquée-cathédrale gratuitement entre huit heures et demie et neuf heures et demie du matin. En tout cas, eux l’ont fait. Je tenterai peut-être ma chance après-demain avant de reprendre la route pour Burgos. Pour l’heure, je range mes affaires pour partir directement demain matin.

Mercredi 5 avril

 

Un bruit de robinetterie puis la porte d’entrée qu’on ferme quelques instants plus tard achèvent de me réveiller. Il est sept heures et j’ai dormi comme un bébé. J’avale un café puis je prends la route entre chien et loup. Il est encore tôt et il y a peu de circulation sur l’autoroute de Cordoue. Les cinquante premiers kilomètres, j’ai le soleil levant en plein dans les yeux et je ne suis pas mécontent quand il s’élève vraiment au-dessus de l’horizon. Le paysage est à peu près le même que depuis que je j’ai quitté Grenade pour venir à Séville. Relativement plat avec, par endroits des collines évoquant de gros édredons sur lesquels on aurait semé des céréales ou planté des oliviers ou des orangers à perte de vue. Ici, pas de haies ni même de forêts. Agriculture extensive.

Mon hôtel est situé à une dizaine de kilomètres de la ville, en rase campagne. Un hôtel anonyme avec restaurant et station-service au bord d’une départementale. Parfait. Comme je suis arrivé tôt, le réceptionniste me propose de garder ma valise jusqu’à ce que ma chambre soit prête. En principe, je ne peux y accéder qu’à partir de seize heures, mais il me dit qu’en fait, je devrais pouvoir y entrer dès treize heures. Comme je lui demande s’il est compliqué de stationner à Cordoue, il me conseille d’aller à la place Santa Teresa. Là, je dois pouvoir trouver une place sans trop de difficulté. L’expérience sévillane m’a un peu refroidi !

Un fort maure...

Un fort maure...

Cordoue

Cordoue

Cordoue est beaucoup moins grande que Séville et j’arrive très rapidement à la place en question. Et je trouve aussitôt une place dans une rue près du pont. De là, je n’ai qu’une cinquantaine de mètres à parcourir pour traverser le Guadalquivir sur le vieux pont de pierre en passant au pied d’une tour maure. Sur la rive opposée, la vieille ville apparaît toute rouge à la lumière du soleil levant. Ce matin, le ciel est d’un bleu que j’aurais apprécié hier pour visiter l’Alcazar. De l’autre côté, on se retrouve tout de suite au pied de la mosquée-cathédrale, elle aussi dûment pavoisée pour les processions. À un gardien qui se tient devant une porte, je demande si c’est bien ouvert le matin à huit heures et demie comme on me l’a dit. Il confirme. Des dizaines de touristes font déjà la queue à la billetterie. Je fais le tour de la cour intérieure où des ouvriers sont en train de mettre la dernière main à l’installation de gradins. Les hauts murs crénelés, les portes lobées, les motifs géométriques et le système d’irrigation des orangers de la vaste cour intérieure montrent bien que dans une vie antérieure la cathédrale était une mosquée.

Une des portes de la mosquée-cathédrale

Une des portes de la mosquée-cathédrale

Je passe ensuite une bonne heure à déambuler dans les petites rues du quartier, auquel je trouve plus de charme qu’au centre historique de Séville, probablement parce que la ville est aussi plus modeste. En revenant au pont, je me rends compte que la campagne est vraiment toute proche, les collines où ondulent les cultures céréalières formant une toile de fond qui contraste avec le monde de pierre qui m’entoure.

Cordoue

Cordoue

Cordoue

Cordoue

Cordoue

Cordoue

Vers onze heures je suis de retour à l’hôtel. Je ne vais pas retourner en ville aujourd’hui, j’ai aussi eu ma dose de foule. Je sirote donc une bière à la terrasse en savourant la vue sur la station-service baignée de soleil. On a les paysages bucoliques qu’on peut. Finalement je prends possession de la chambre un peu après midi. Enfin une connexion internet ! Pas ultra‑rapide, mais tout à fait acceptable. Un client m’envoie un gros projet à livrer le 20. Cool.

Vers deux heures je déjeune d’une assiette de calamars frits avec du riz et de la salade. Pas de la grande cuisine, mais j’avais l’estomac dans les talons. Ensuite, ma foi, on est en Espagne et je fais la sieste jusque vers cinq heures avant de ressortir acheter de l’eau et des bananes dans un hameau à quelques kilomètres. Et je passe le reste de la soirée à reprendre contact avec l’actualité. Je consulte aussi, bien évidemment, le plan de Séville pour voir par où je suis passé au cours de cette nuit inoubliable. J’en ai fait, des kilomètres à pied ! Dire que je suis passé à au moins trois reprises à, quoi, même pas deux-cents mètres de la voiture !

Jeudi 6 avril

Ce matin j’entame le chemin du retour, mais avant je veux visiter la mosquée-cathédrale. Cerise sur le gâteau, les avions n’ont pas pollué le ciel et il fait particulièrement beau. Je me tiens devant l’entrée avec une vingtaine d’autres visiteurs, mais au moment où les portes s’ouvrent, on nous apprend que les horaires ont été changés et que de huit heures et demie à neuf heures et demie, il faut aussi acheter un billet d’entrée. Pas le temps ni l’envie de faire la queue. Tant pis, ce sera pour une prochaine fois.

Cordoue au lever du soleil

Cordoue au lever du soleil

Un peu déçu, mais pas plus surpris que ça, je reprends la route en direction de Madrid. J’emprunte l’autoroute qui passe par Linares et Madrid. Pas un chat à cette heure, mais comme hier matin j’ai le soleil levant en plein dans les yeux la première heure. Quant au revêtement, il laisse un peu à désirer et de temps en temps la voiture esquisse un pas de danse sur le côté quand il est un peu trop rugueux. Heureusement, tout s’arrange ensuite. À mesure que j’approche de Madrid la circulation dans le sens inverse s’intensifie et je vois à plusieurs reprises des bouchons d’un ou deux kilomètres. De toute évidence, les Madrilènes partent en week-end pour Pâques.

Ne connaissant de l’Espagne que Barcelone, ses environs et Alicante pour y être venu en de rares occasions, et très brièvement, le paysage ne correspond pas à l’idée que je m’en faisais. Toutes les surfaces disponibles sont en culture, qu’il s’agisse de céréales, d’oliviers ou d’agrumes. En voyant certaines collines assez pentues, il me semble que cela doit présenter un certain danger pour les engins agricoles. En revanche, je suis surpris de voir moins d’éoliennes que ce à quoi je m’attendais. On en voit de temps à autre une rangée au sommet d’une chaîne de montagnes ou tout un parc ici ou là, mais rien d’insupportable. Les panneaux solaires aussi sont nombreux. En Espagne, ce serait bête de s’en priver.

De temps à autre, la silhouette d’un taureau géant se découpe au sommet d’une colline. J’ai un mal de chien à en photographier une : elles sont le plus souvent placées à un ou deux kilomètres des bretelles d’accès. Je finis par dégotter une station-service d’où je peux faire la photo. Ces panneaux publicitaires commandés à l’origine par le groupe Osborne, dixit Wikipedia, sont présents dans toute l’Espagne. Lors d’un arrêt à une station-service je photographie trois moulins à vent au sommet d’une colline voisine. En traversant la Manche, j’en ai d’ailleurs vu un ou deux autres représentant un âne ou un homme avec une guitare à ses pieds... j’avise un certain nombre de moulins à vent. Toujours Don Quichotte…

Andalousie Pâques 2023
Au pays de Don Quichotte

Au pays de Don Quichotte

Les heures et les kilomètres s’égrènent. Un peu après une halte déjeuner où je savoure un steak de chevreuil, je contourne Madrid. J’aperçois au loin sur ma gauche quatre ou cinq tours, le quartier d’affaires sans doute, qui dominent la ville qui s’étale dans la plaine. Ensuite le paysage change encore et les reliefs font leur apparition. J’y retrouve quelques forêts de pins. De loin en loin une vieille église bâtie au sommet d’un piton domine un village dont les rues s’étagent en arc de cercle jusque dans la plaine.

J’arrive à Burgos en milieu d’après-midi. Mon hôtel, là encore, est à une dizaine de kilomètres du centre. C’est un de ces établissements anonymes pour commerciaux et autres cars de touristes, bien pratiques quand on a de la route à faire. C’est propre et fonctionnel, mais comme nous sommes en Espagne, l’ambiance est loin d’être feutrée. Pendant que la réceptionniste me remet les clés, j’entends des bruits de tasses qui s’entrechoquent et des voix qui résonnent dans la salle de bar attenante.

Semaine Sainte oblige, ici aussi il y a une procession, « El encuentro de Burgos ». Je pars en centre‑ville en fin d’après-midi pour y assister. Je trouve assez facilement à garer la voiture. Échaudé par mon expérience sévillane, je prends des points de repère, mais c’est bien inutile : je ne suis qu’à trois-cents mètres de la vieille ville. Le petit pont de pierre menant à la vieille ville franchi, on se retrouve au pied de la cathédrale Santa María après avoir emprunté une très belle porte monumentale. Des barrières sont déjà en place pour la procession qui doit commencer dans une heure ou deux. Je profite de ce délai pour jeter un coup d’œil dans la cathédrale et dans l’église située juste au-dessus. Toutes deux sont particulièrement belles et je m’y attarde un petit moment. Des affiches prient les touristes de ne pas prendre de photos pendant les offices, mais des tas de gens en font avec leur téléphone. Mes scrupules se font une petite place bien au chaud au fond de ma poche…

Catrédrale de Burgos

Catrédrale de Burgos

De là, je monte au sommet de la colline où un château médiéval en cours de restauration, d’ailleurs sans grand intérêt, domine la ville et la campagne alentour. Il commence à faire frais. C’est vrai que Burgos est à 900 mètres d’altitude et, si l’on en croit la formule « neufs mois d’hiver, trois mois d’enfer », le climat y est plutôt froid.

Andalousie Pâques 2023

Une fois redescendu sur la place, je constate qu’une foule s’est déjà agglutinée contre les barrières. Comme il n’y a pas encore trop de monde de mon côté, j’en profite pour me positionner. Par chance, je suis derrière deux dames âgées qui m’arrivent aux épaules, tandis que sur ma droite sont assises quatre ou cinq personnes handicapées dans leur fauteuil roulant. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, je me retrouve idéalement placé pour assister à la procession. L’événement est appelé « El encuentro de Burgos », la Rencontre de Burgos. Il s’agit de la rencontre de Marie et de Jésus au pied de la cathédrale. La procession est sur le point d’arriver quand quelqu’un a un malaise dans la foule de l’autre côté de la rue. Ambulance, pompiers et gilets fluo s’agitent en tous sens, l’évacuation s’effectue avec une grande efficacité et les processions peuvent commencer.

Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023

La rencontre, ce sont en fait deux processions, l’une précédée de la statue de Marie et l’autre de celle du Christ portant sa croix, venant en sens inverse pour se rejoindre sur la place. Chaque statue est dressée sur un grand châssis en bois, certainement très lourd car porté par une quarantaine ou une cinquantaine de solides gaillards. Arrive en premier la fanfare qui joue une musique très particulière, qui peut d’ailleurs sembler dissonante et met un peu mal à l’aise. Les musiciens viennent ensuite se poster au pied de la muraille de la cathédrale. Suivent alors plusieurs processions de pénitents de différentes confréries que distinguent les couleurs du manteau et de la coiffe. Au moment où arrive Marie, des tambours résonnent sous la porte monumentale et c’est une autre procession, celle de Jésus, qui vient, précédée d’autres pénitents, mais également de pénitentes portant une tenue et une coiffe en dentelle noires. Elles s’immobilisent un bon moment pendant que les premiers pénitents continuent d’arriver avant de se mettre en rangs au pied de la muraille sur ma gauche. Comme la place manque, un certain nombre vient se placer contre la barrière. Il faut se pencher d’un côté ou de l’autre pour arriver à voir et à faire les photos. Enfin la statue de Jésus passe majestueusement devant nous avant d’aller s’immobiliser face à celle de Marie.

Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023
Andalousie Pâques 2023

Le prêtre qui se tient debout au micro en haut de la muraille prononce alors un joli discours faisant la part belle à l’amour que Marie porte à son Fils. La foule recueillie applaudit à la fin. Derrière moi les rangs s’éclaircissent et, ma foi, le moment est venu de rentrer à l’hôtel. Demain j’ai 750 kilomètres à faire et il vaut mieux ne pas me coucher trop tard.

Vendredi 7 avril

Réveillé vers sept heures, je prends un café et un croissant au bar de l’hôtel et me revoilà sur la route. Ce matin encore j’ai le soleil dans les yeux les cent premiers kilomètres. Décidément ! La route monte un bon moment et la petite Fiat fait de son mieux. Heureusement, c’était la dernière épreuve : on amorce ensuite une descente de deux-cents kilomètres jusqu’au niveau de la mer à travers le Pays Basque espagnol. Peu avant la frontière, l’autoroute est à péage, mais mon hésitation est de courte durée : c’est ça ou une nationale sans doute tortueuse qui me fera perdre des heures. Le paysage est ici spectaculaire. On est dominé par de hautes montagnes couvertes de forêts de sapins avec des villages nichés au fond de vallées profondes. Rien à voir avec la Sierra Nevada. Les tunnels et les ouvrages d’art se succèdent.

Andalousie Pâques 2023

Juste avant la frontière, la circulation s’éclaircit, les Espagnols quittant pour la plupart l’autoroute pour se rendre dans les villes voisines. L’accalmie est toutefois de courte durée et, comme j’ai décidé de faire un crochet par Biarritz pour voir à quoi ça ressemble, je me retrouve bientôt dans un embouteillage. Ici, la courtoisie espagnole n’est plus qu’un lointain souvenir, on est en France : au rond-point, c’est à qui passera en premier ; quant aux piétons, eh bien, ils attendront avant de traverser. Le GPS m’égare un peu sur le front de mer. Il fait beau, l’océan est d’un beau bleu et les hauteurs de la ville sont occupées par des villas avec tourelles et échauguettes datant sans doute de la Belle Époque.

Je repars dès que j’ai réussi à m’extirper de ce dédale de sens uniques et retrouve l’autoroute avec plaisir. La traversée des Landes est assez morne, mais par chance la circulation est fluide sur la rocade de Bordeaux. Passé Angoulême, il ne reste que deux-cents kilomètres sur les nationales, mais je connais la route par cœur.

J’arrive à la maison un peu après six heures. La jauge d’essence bipe depuis Le Dorat, à une grosse trentaine de kilomètres et je ne suis pas mécontent d’être arrivé.

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