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Aquiceara - Le blog

Photos, vidéos et récits de voyages et d'ailleurs et d'autres choses....

Fortaleza - Le dernier des pirates

   
Júlio Trindade, un « pirate » de plus au ciel
Fortaleza, dimanche 31 juillet 2011 – 19 h 24
Par Eliomar de Lima
Traduction française : Gilles Chertier
Trindade
La crémation de Júlio Trindade a lieu ce lundi. Cet entrepreneur portugais a choisi le Ceará pour y faire sa vie. C’est à Fortaleza qu’il a ouvert le Pirata Bar, aujourd’hui célèbre pour ses « lundis les plus torrides de la planète ». Júlio a lutté de toutes ses forces contre le cancer du cerveau qui le rongeait, mais il a finalement dû déposer les armes pour s’éteindre ce samedi vers 23 heures.
Júlio Pirata d’Iracema
Par Júlio Trindade
Je m’appelle Antônio Júlio de Jesús Trindade, mais je me plais à signer les documents sous le nom de Júlio Pirata d’Iracema. Je suis né à Lisbonne le 10 mars 1946 et je m’enorgueillis d’être le fils d’une paysanne et d’un ouvrier tourneur, élevé avec tout l’amour qu’ils ont pu m’offrir. J’ai eu une enfance merveilleuse et, à l’adolescence, j’ai été gardien de buts de la Seleção Juvenil du Portugal. Mon père avait des idées bien arrêtées et, comme lui, j’ai appris à défendre mes principes et à contester ce qui me semblait injuste. J’appartiens à la génération des années 60. A ce titre, j’ai participé intensément à briser les tabous d’alors. C’est à cette époque (1964) que j’ai quitté le Portugal : je ne voulais pas entrer dans une armée qui s’enlisait dans une guerre coloniale en Angola. Le Rambo américain est déjà bien triste, alors imaginez un Rambo portugais !
Ma première destination a été Paris. J’y ai beaucoup appris, à commencer par le français. Je le parle couramment avec l’accent parisien et aucun Français ne se rend compte que je suis étranger. J’ai fait la connaissance de mon épouse Yane en 1966. Nous en sommes aujourd’hui à 45 ans de vie commune. En 1968 nous avons eu Rodolphe, notre fils unique. Nous avons beaucoup voyagé à travers le monde, mais nous rentrions à chaque fois en France, où nous avons vécu 15 ans.
Voyages et aventures
De mon point de vue, passer sa vie au même endroit parce qu’on y a vu le jour, c’est céder à la facilité. J’ai toujours cherché l’endroit idéal, un endroit avec lequel je m’identifie le plus possible. Soucieux de qualité de la vie, j’ai passé cinq ans à Nice, dans le sud de la France, comme agriculteur. Ma famille a été la première à adopter une posture écologique dans la région où nous vivions. Nous vivions en autarcie, consommant uniquement les aliments que nous produisions, sans pesticides ni engrais. Nous élevions des chèvres et nos revenus provenaient de la vente de nos fromages. Par deux fois, nos fromages ont été élus les meilleurs de la région dans des foires agricoles.
Au cours de voyages effectués par la suite, j’ai connu les Etats-Unis, de San Diego à Seattle. J’ai poursuivi mon chemin jusqu’en Colombie Britannique, au Canada, dont j’ai aimé la société plus tranquille et démocratique. J’ai vécu un temps à Saint-Martin, aux Antilles. Quand on veut découvrir le monde, il est important de se renseigner sur ce qui se passe là où on veut se rendre. Je cherchais donc à m’informer sur les lieux que je comptais visiter, je lisais la presse et je me tenais au courant de ce qui se passait dans les pays que j’allais traverser. De toute évidence, cela me facilitait grandement les choses.
Travail
Partout où je suis passé, j’ai exercé les métiers les plus divers, le plus souvent pour la première fois. J’ai fait la plonge, nettoyé des toilettes, déchargé des caisses de fruits et légumes aux Halles, à Paris. J’ai été réceptionniste de nuit dans des hôtels, serveur et maître d’hôtel Chez Antoine, grand restaurant de Saint-Martin, aux Antilles. J’y ai eu l’occasion de servir des personnalités comme l’ex-président Richard Nixon et Jacqueline Onassis. J’étais très bien payé et je touchais de généreux pourboires. J’ai également eu un kiosque à journaux et j’ai même été analyste de systèmes pour l’armée française dans les années 70. J’ai aussi pêché le saumon au Canada, dirigé le Banzo Bar, le restaurant de l’hôtel Pelourinhao et la Pousada da Praia do Forte, dans l’Etat de Bahia. Au Ceará, j’ai essayé, sans succès, de pêcher la langouste. Jusqu’à l’ouverture du Pirata, mon chemin a été long et parsemé d’imprévus.
L’aventure brésilienne commence à Bahia
Je suis arrivé au Brésil en 1981, par le Nord. Trindade n’est pas seulement notre nom : Yane, Rodolphe et moi, nous étions constamment ensemble. Nous avons pris un car au long cours à Belém do Pará et nous sommes descendus jusqu’à Salvador. Dès le lendemain, j’y ouvrais mon premier commerce au Pelourinho, le Banzo Bar. Par la suite, j’ai également loué l’Hotel Pelourinho et ouvert une auberge à la Praia do Forte. A Bahia, j’ai eu beaucoup de contacts et cette période a été une époque bénie, du point de vue social et en tant qu’entrepreneur. Je me souviens de la première sortie d’Olodum au carnaval de Salvador en 1982. J’ai appris que le groupe n’avait pas d’argent pour son groupe électrogène. Je me suis dit qu’il n’était pas question qu’il soit absent de la parade et j’ai acheté tout le gazole.
J’ai également eu l’occasion de participer aux débuts du Projeto Tamar. Je suis fier d’avoir créé le premier logo d’une marque aujourd’hui très connue. Quand j’ai ouvert la Pousada da Praia do Forte, la région était très arriérée. A l’époque, le pont sur le Rio Pojuca n’existait pas et la traversée s’effectuait sur des embarcations en balsa. L’électricité venait juste d’arriver. Aucun salarié n’avait de carnet de travail signé et j’ai été le premier employeur à appliquer le droit du travail et à le signer. Deux années de suite (1983 et 1984), notre auberge a été élue meilleure entreprise du Brésil par Playboy.
Un foyer au Ceará
Nous habitions à Bahia quand un ami cearense nous a invités à découvrir la Praia da Baleia (Plage de la Baleine). Moins de six mois après, nous déménagions pour nous y installer. La famille Trindade a choisi le Ceará avant d’en tomber amoureuse. Nous avons cédé toutes nos affaires à Bahia et nous sommes repartis de zéro ici. En 1985, j’ai acheté un langoustier et embauché une équipe de huit hommes pour pratiquer la pêche professionnelle. Les années précédentes, les pêcheurs ramenaient une tonne de langouste à chaque campagne. Malheureusement, l’année où j’ai commencé, la langouste avait disparu des côtes du Ceará. Tout se liguait contre nous et nous conduisait à l’échec : le climat avait changé et il y avait eu beaucoup de pêche sauvage.
Des mois plus tard, je découvris que je m’étais lancé dans une mauvaise affaire. J’y avais investi la plus grande partie de notre argent. Par la suite, je me suis renseigné sur le passé du bateau auprès des propriétaires précédents. Aucun n’avait commis la moindre erreur et, pourtant, tous avaient fait faillite. J’ai entendu parler de morts en mer et à terre pendant les travaux de réparation. J’ai revendu le bateau à un autre pêcheur professionnel de langouste, qui a également fait faillite. Aujourd’hui, je sais qu’un mauvais sort avait été jeté à ce bateau.
Nous avions très envie de vivre dans un endroit tranquille, en paix avec la nature. Cependant, notre projet de pêche de la langouste ruiné, nous avons décidé de déménager à Fortaleza. En 1985, c’était encore une ville provinciale. J’ai vu beaucoup de gens tordre le nez en voyant mes grosses moustaches, mes cheveux longs et mes vêtements colorés. La Fortaleza d’aujourd’hui est toute différente. Elle est en pleine expansion et on y rencontre beaucoup de cadre bien formés, d’entrepreneurs et de gens qui savent ce que c’est que le commerce.
Le Pirata : un chemin vers le succès parsemé d’embuches
En tant qu’entrepreneur, le Pirata a été mon dernier souffle. Ce n’était pas la première fois de ma vie que je me lançais dans une entreprise en laquelle j’étais le seul à croire. Pour ouvrir le Pirata, j’ai raclé les fonds de tiroir et revendu mes derniers biens de valeur : une collection de grands whiskies, une chaîne stéréo que presque personne n’avait à l’époque et même ma voiture. J’ai ouvert le bar dans la précipitation, sans même être prêt, parce qu’il me fallait impérativement déposer un peu d’argent à la banque pour que le compte ne soit pas fermé.
Le nom « Pirata » a suscité quelques commentaires de rejet chez mes amis. J’ai même eu des difficultés pour faire imprimer les cartes de visite. Avec mon fils Rodolphe, qui était déjà mon associé, nous avons fini par dénicher le seul typographe du centre-ville qui utilisait la police de caractères que nous recherchions. Même le choix de la couleur du papier n’a pas été une mince affaire. Nous voulions qu’il soit noir, mais cela n’existait pas dans le commerce et c’est le typographe qui s’est chargé de les colorier.
Fort de l’expérience du Banzo et de la Pousada da Praia do Forte, ouvrir un bar et un restaurant me semblait aller de soi. Et il fallait que ce soit sur la plage d’Iracema, parce que j’étais tombé sous le charme du quartier. En 1986, Fortaleza n’avait rien d’équivalent [au Pirata] et aucun endroit n’était en mesure de répondre aux attentes de la jeunesse.
Aujourd’hui, partout au Brésil et dans le monde, à chaque fois qu’on parle de Fortaleza on parle également du Pirata. En tant qu’entrepreneur, cela ne peut que m’emplir de fierté et de bonheur.
Júlio et la musique
C’est le grand accordéoniste Azeitona avec son trio de forró pé-de-serra qui a lancé le Forró do Pirata. Depuis, ce rythme et ses traditions occupent un espace très important dans la programmation de la maison et dans ma vie. Dorgival Dantas a également fait partie de la famille Pirata pendant cinq ans, et il y a plus de 11 ans que le quadrille de Zé Testinha se produit tous les lundis au Pirata, attestant la vivacité de la culture paysanne. Le premier spectacle Profissionalmente fuleiro de Falcão a eu lieu au Pirata, de même que Lailtinho Brega, vainqueur du tournoi Meirinha e Rosicléa du premier festival Brega e Corno du Brésil en 1989. Enfin, d’innombrables musiciens et artistes divers nous ont laissé un patrimoine musical et culturel considérable.
Le forró et la musique brésilienne se sont propagés partout, et le Pirata est devenu la référence de Fortaleza et du Ceará pour le Brésil et le monde entier. Il offre un espace et des conditions de travail parfaits pour les nouveaux talents. Aujourd’hui, j’ai le sentiment du devoir accompli dans ma lutte pour la culture de Fortaleza et du Ceará, et pour la connaissance de la valeur des artistes locaux.
Un pirate qui a des principes
Le Pirata est un lieu qui a trouvé au Ceará sa raison de vivre. Pour moi, c’est bien plus qu’une simple entreprise. C’est un lien privilégié avec la société. Il m’a donné l’opportunité d’exercer la citoyenneté d’une manière grandiose. Il est bon de se dire qu’on peut influer sur les gens en bien, de savoir qu’on peut tenir un discours pratique, par l’exemple, en montrant comment faire les choses.
C’est dans cet esprit que j’ai résolu un conflit dans le district de Caetanos, à Amontada, dans les années 90. On essayait d’expulser injustement plus de cent familles de pêcheurs pour créer un lotissement. Nous avons lutté des nombreuses années et subi des attentats. C’est grâce à un reportage de Moacir Maia dénonçant ces cruautés, dans Fantástico, que nous sommes parvenus à éviter l’éviction de ces familles. Depuis, certains me considèrent comme un ami ; d’autres voient en moi un entrepreneur avide du grand capital international, qui ne fait qu’exploiter les travailleurs. Ce qui m’attriste le plus, c’est peut-être l’absence de reconnaissance pour le travail accompli dans cette région, où nous avons fondé la première réserve privée du patrimoine naturel (RPPN, Reserva Natural do Patrimônio Natural) du Brésil en 1993, avec plus de 500 hectares et 2 km de plage. Comment pourrais-je préserver d’un côté et détruire de l’autre ?
La Fondação Pirata Marinheiros, qui a vu le jour en 1994, est très active depuis plus de vingt ans. Je ne l’ai jamais crié sur les toits et je n’ai jamais fait de publicité pour mes actions sociales ; je me suis contenté de faire ce qu’il y avait à faire, dans la mesure de mes moyens, pour améliorer la vie des gens nécessiteux. Le travailleur social ne cherche pas à recevoir des lauriers pour ses actions. Il agit par instinct, par sa sensibilité et en restant attentif aux rapports que nous avons les uns avec les autres. Cela m’a valu en 1999 de recevoir de la Mairie d’Amontada le titre de Citoyen de Fortaleza. En août de la même année, l’Assemblée Législative du Ceará me décernait le titre de Citoyen du Ceará. Tout cela fait aujourd’hui partie de ce que je suis, non seulement parce que je suis naturalisé brésilien, mais parce que je me sens vraiment d’ici, sans renier mes autres origines pour autant.
Mon cœur se serre lorsque j’entends des médisances sur le Pirata. Malheureusement, il existe encore bien des gens pétris de préjugés à Fortaleza. Ils ne reconnaissent pas notre philosophie du travail, ils n’ont jamais eu le plaisir de s’amuser un lundi. Au contraire, ils ne font que vitupérer contre un des patrimoines du Ceará et de Fortaleza.
Je sais que beaucoup de gens ont de l’affection pour moi et que beaucoup d’autres me détestent, mais que tous me respectent. Je ne peux rien faire à moitié, je suis toujours entier en tout ! Je suis Antônio Júlio Pirata d’Iracema, dévôt de Saint Antoine, fils d’Ogum et brésilien par amour.
Petition PirateEn 2007, le Pirate est menacé une fois de plus. Cette fois, il s'agit de construire un centre de formation pour... le tourisme ! Un comble quand on sait qu'à lui seul, le Pirata a fait bien plus pour faire connaître Fortaleza et le Ceará que tous les secrétaires au tourisme réunis.Pirata - troppo les nonesPirata 1997 - Ambiance ma nonne troppo !Pirate facadeFaçade du PirataPirate merLe Pirata côté plage
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