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Aquiceara - Le blog

Photos, vidéos et récits de voyages et d'ailleurs et d'autres choses....

En mémoire du Bataillon du Tigre

 

Dimanche 5 mai 1963. Le matin, ma mère me réveille pour m’annoncer que mon grand-père Henri est mort dans la nuit.

Ce devait être la première fois qu’on m’annonçait le décès d’un proche. À l’âge de huit ans, on ne se rend pas bien compte de ce que cela signifie, et je dois admettre que je n’ai pas été plus ému que ça.

Je ne garde guère de lui qu’une image imprécise. À l’école, je l’avais mentionné dans une rédaction, où je décrivais les hommes de la famille à la fin d’une partie de chasse. Dans mon récit, mon grand-père était assis au bout de la table et traçait un croquis imaginaire sur la toile cirée de la table de cuisine pour illustrer son propos. Il portait moustache et casquette en toile, comme tous les hommes de cette génération. C’est à peu près tout ce dont je me souviens. Chaque automne, la famille se réunissait chez lui pour les vendanges. Sur son lopin de terre derrière la maison, il cultivait un peu de vigne et du tabac. Je m’en souviens d’ailleurs assez bien du séchoir. Ça sentait bon !

Une autre chose m’avait impressionné : il savait compter en arabe ! À cette époque et dans un petit patelin du Berry, c’était assez original. Ce n’est que bien des années plus tard que j’ai appris qu’il avait séjourné au Maroc. Il connaissait aussi quelques mots d’allemand, comme beaucoup d’hommes de cette époque, sans doute par suite des échanges « bellico-culturels » avec nos voisins de l’Est…

28 juin 1919. Survivant de la Grande Guerre, Henri fait partie de la Délégation du Tigre. Pour ceux qui ne le savent pas, le Tigre, c’est Clémenceau, l’artisan de la victoire.

Les documents ci-après ont été longtemps conservés par ma tante Cécile, avant d’arriver dans les mains de mon père après le décès de celle-ci.

 

Convocation adressée à Henri pour assister à la signature du traité de paix.

 

La délégation du Tigre regroupe quatorze combattants, dont cinq grands mutilés.  Ci-dessus,  Henri  Chertier  est  le  soldat  au centre de la photo, en vareuse bleu horizon et casqué.

Les cinq grands mutilés de la Délégation du Tigre. Celui du milieu est Henri Agogué. Lui aussi de Cernoy-en-Berry , c'est le fondateur de l’association des Gueules Cassées.

Photo datant, semble-t-il, de novembre 1915, alors qu’Henri (ci-dessus à l’extrême gauche), était fraîchement incorporé. À cette date, il n’avait en effet que 17 ans.

Fontainebleau, le 18 novembre 1915. Henri est l'homme en vareuse bleu horizon.

Photo non datée.

Fontainebleau – 15 avril 1916. Henri est tout à gauche sur la photo.

Fontainebleau – 23 mai 1916. Henri se tient au centre de la photo.

Casablanca. Photo datant vraisemblablement de 1918-19

Allemagne du 12 avril 1915 au 22 avril 1918. Maroc : 10 main 1918

Blessures et actions d’éclat, citations :

 

Cité pour décoration Q.G. n°106 du 23 août 1917. Excellent soldat [illisible] courageux. Blessé le 23 mars 1912 aux Eparges. N’a consenti à être évacué que 3 jours après. Revenu au régiment, a pris part au coup de main du 14 mai, où il s’est particulièrement distingué. S’est de nouveau fait remarquer pendant la période du 26 juillet au 3 août 1917 par sa belle attitude.

 

Décoration : Excellent soldat, ayant donné en toutes circonstances la preuve du plus grand courage et d’un remarquable esprit de sacrifice. S’est particulièrement distingué le 1er octobre 1917, luttant avec une énergie et une ténacité admirables contre un ennemi supérieur en nombre et jusqu’à épuisement de ses munitions. A été blessé le 4 novembre 1917 après avoir montré, dans des circonstances difficiles, une décision et un sang-froid au-dessus de tout éloge. Une blessure antérieure, une citation. Ordre n°6179

 

 

 

 

Au printemps 1919, Henri est hospitalisé pour stomatite et paludisme, vraisemblablement à la suite de son séjour au Maroc

 

C’est l’occasion d’une permission de 10 jours pour convalescence.

Transcription de la coupure de presse ci-dessus

Il y a 55 ans, deux anciens combattants de Cernoy assistaient à la signature du traité de paix de Versailles

Le 28 juin 1919 est une des grandes dates historiques de la France et du monde. Elle marque la signature de la paix dans la Galerie des Glaces de Versailles. Un groupe de « poilus », des blessés dont la poitrine portait la croix de guerre et la médaille militaire, avait été convié à la cérémonie. Quand Clémenceau entra, c’est vers eux qu’il se dirigea en leur serrant la main : « Nous y voilà, leur dit-il, si nous sommes ici aujourd’hui, c’est à vous que nous le devons. Merci. »

La « délégation du Tigre » – ainsi fut-elle appelée – comprenait

14 membres, dont cinq grands mutilés de la face et neuf authentiques poilus, représentant chacun une arme, comme me le confirma mon regretté camarade de régiment Henri Chertier, qui eut l’honneur de faire partie de cette délégation :

« À la suite de mon évasion, le 4 novembre 1917, me disait-il, j’avais, après ma guérison, été envoyé au Maroc. Peu après l’armistice, je revins en France où l’on m’affecta, tout ancien biffin que j’étais, au dépôt du Génie à Versailles. C’est là que le 28 juin au matin le planton de la compagnie vint me prévenir d’avoir à me rendre d’urgence au magasin d’habillement.

On m’habilla de neuf, des pieds à la tête, et on me fit prendre le train de Paris jusqu’aux Invalides, où je rejoignis cinq grands mutilés de guerre, mutilés de la face, et huit autres poilus, comme moi.

Après une collation à laquelle nous étions peu habitués, deux camions, sous la conduite d’un adjudant, vinrent nous chercher et, une demi-heure plus tard, on nous débarqua dans la cour du château de Versailles : « Vous faites partie, nous dit-on, de la délégation d’anciens combattants admis à l’honneur d’assister à la signature de la paix. »

Introduits ensuite dans la Galerie des Glaces et rangés dans une embrasure de fenêtre, nous vîmes bientôt arriver vers nous le « Tigre » en personne, coiffé de son légendaire chapeau de toile grise. Visiblement ému, une larme à l’œil, il nous serra la main à tous et nous fit part de sa joie de voir « ses poilus » assister à la signature du traité de paix.

« Vous ne savez pas combien j’ai dû guerroyer moi-même pour obtenir l’autorisation de vous avoir près de moi, et vous m’en trouvez ému. »

J’ai rapporté de tout cela – poursuivit Henri – une impression inoubliable pour le simple poilu que j’étais.

 

 

Démobilisé en septembre 1919, Henri Chertier redevint cultivateur à Saint- Firmin-sur-Loire puis à Cernoy-en-Berry, où quelque temps plus tard il fut élu maire de cette commune.

Décédé en 1963, il repose maintenant à côté de son camarade Henri Agogué, autre enfant du pays qui, comme lui, eut l’honneur d’appartenir à la « Délégation du Tigre ».

Henri Agogué était en effet un des cinq grands mutilés de la face, chevalier de la Légion d’honneur, médaillé militaire ; mort à Toulon à l’âge de 40 ans des suites de ses blessures.

Il était né le 18 septembre 1895. Mobilisé au 4e bataillon de chasseurs à pied, il participa à de durs combats. Le 16 octobre 1916, à Saint-Pierre-de- Wast, dans la Somme, il était atteint d’une atroce blessure à la figure, et c’est après 19 années de souffrance qu’il s’éteignit le 1er décembre 1936. Il a été inhumé dans le cimetière de Cernoy en présence du colonel Picot, président des « Gueules Cassées », et d’une très nombreuse assistance.

Un rêve de "grognard"

L’émotion provoquée dans les milieux d’anciens combattants par la suppression de leur retraite m’a valu cette semaine de l’un d’eux une lettre où il exprime son amertume et… le récit d’un rêve qu’il vient de faire.

Avec son accord tacite, je me plais de rapporter, en substance, le récit de son rêve.

Mais permettez tout d’abord que je vous le présente tel qu’il s’est à nouveau présenté à moi dans sa lettre – mais avec une modestie trop grande à mon avis.

C’est pourquoi j’ai cru devoir ajouter les titres militaires que je lui connais pour avoir servi dans la « Bif », en l’occurrence au 4-6 et au 4-15 d’Infanterie.

D.D.

Dans le civil, un paysan à qui, au temps de la « belle époque », un bon vieux maître d’école avait appris la droiture, l’honneur, le respect des engagements, toutes ces choses bien imprégnées dans son esprit et tenant lieu de ligne de conduite.

Dans le militaire, un fantassin de deuxième classe incorporé deux ans avant sa majorité pour la « der des ders » ; prisonnier fin 17 et blessé peu de temps après au cours d’une évasion mouvementée, mais heureusement réussie, et médaillé militaire à ce titre.

À ce titre aussi, désigné le 28 juin 1919, avec cinq grands mutilés de la face et des jambes, et neuf autres poilus authentiques, pour faire partie de la

« Délégation du Tigre », délégation de poilus honorés de la faveur d’assister à la signature du Traité de Versailles.

Qu’on me permette ici, m’écrit-il, de revenir sur cette cérémonie inoubliable pour un simple soldat.

Dans les profondes embrasures des fenêtres de la Galerie des Glaces où on nous avait placés, le Tigre en personne, avec son chapeau de toile grise, est venu nous serrer la main à tous. Visiblement ému, avec des larmes dans les yeux, il nous fit part de sa joie de voir ses poilus assister à cette signature…

* * *

Quarante ans ont passé. À la « der des ders » a succédé une autre grande guerre mondiale, que ne prévoyait certainement pas le Tigre (à qui la France ingrate refusa l’Elysée). Il repose depuis 30 ans dans sa chère Vendée, loin

 

de se douter, lui aussi, de l’ingratitude de ses successeurs vis-à-vis de ses chers poilus de 14. Dette sacrée, avait-il dit. Sacrée dette, viennent de dire les tenants du jour qui, d’un coup de baguette magique, ont renié ces engagements.

Est-ce cette désinvolture qui m’a l’autre nuit plongé dans un rêve, dont je veux te rapporter la scène :

Cette nuit-là, j’ai revu le Tigre. Il s’en allait dans la nuit, avec le même chapeau de toile grise, sa canne et ses souliers ferrés, rue de Rivoli, au domicile de notre Grand argentier.

Il frappa et, d’autorité, pénétra dans le hall. Un huissier voulut le conduire puis un autre, dont il se débarrassa d’un coup de canne, puis finalement gagna la chambre à coucher où reposait quiètement le maître de céans.

Il n’avait plus, le Tigre, la larme à l’œil que je lui avais vue le 28 juin 1919. Non ! Ces yeux, au contraire, s’éclairaient d’un regard perçant, menaçant.

Arrivé près du lit, d’un coup de canne nerveusement appliqué sur la couverture, il réveilla le dormeur.

« Vite, ordonna-t-il, fais abolir l’ordonnance que toi et les tiens avez prise. Respect aux engagements sacrés. Rendez à mes vieux briscards, à mes fidèles poilus, leur retraite. Si minime qu’elle soit, elle constitue pour eux pour le moins un symbole.

Une tête sortit de la couverture, mais je n’eus pas le temps de distinguer le regard.

D’émotion, mon rêve s’évanouissait avec mon réveil brusque. »

* * *

Crois-tu, cher camarade – poursuit-il – toi qui, comme moi, as connu les hécatombes, les souffrances, les privations, ce qui n’excluait en rien l’héroïsme quotidien de ceux de l’infanterie, reine des batailles, appelée – une fois de plus (un grand militaire nous l’a rappelé le mois dernier) à gagner une nouvelle guerre… fiscale. Crois-tu, oui ou non, qu’on la redonnera notre retraite ? Ah, si le Tigre était encore là !

Et que dirait mon vieux maître d’école devant le manque de respect des engagements sacrés qu’il nous inculquait ?

 

Ainsi termine sa lettre, mon vieux copain de la classe, mon compagnon d’armes avec qui j’ai débuté dans la carrière à « Bléau »* et avec qui je me suis perfectionné ensuite sur l’Aisne, aux Eparges, à Verdun, au Mont- Cornillet, etc.

Ah oui, mon vieux H. C., comme tu as raison ! Dette sacrée – Sacrée dette ! Au fait, qui a dit : « on les aura » ?

Daniel Desbordes

* Fontainebleau

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